Les premières « rectifications » de nom de rues remontent à 1789. Elles se poursuivent incessamment depuis. Comme si la culture bretonne n’avait jamais existé. Comme si nous n’avions pas suffisamment de grands personnages locaux pour baptiser nos voies et chaussées. Comme si la mondialisation justifiait de s’y soumettre.

La manipulation patronymique est une spécialité française qui, pour l’essentiel, remonte à la Révolution. On se souviendra effectivement que les Bro Leon et Bro Gerne (Cornouaille) devinrent le Finistère ; que le Bro Sant-Malou, le Bro Zol et le Bro Roazhon se transformèrent en Ille–et-Vilaine ; notons encore le Bro Naoned devenu Loire-Inférieure avant d’évoluer en Loire-Atlantique ; et le Bro Gwened (Pays de Vannes) changé en Morbihan, seul département à recevoir un nom bretonnant ; enfin, plus proche de nous, les Côtes-du-Nord (nom tiré de la traduction littérale bretonne) furent requalifiées Côtes- d’Armor  le 27 février 1990 par la volonté d’un marketing touristique.

La Bretagne vit un massacre toponymique depuis deux siècles

L’hécatombe linguistique s’accélère avec la montée en puissance du mondialisme. Elle est soutenue par une technocratie jacobine particulièrement zélée, et des élus pour le moins serviles lorsqu’ils ne sont pas bassement idéologues. Saint-Nazaire et Nantes furent les premières grandes villes à donner le mauvais exemple en rebaptisant quantité de rues et lieux-dits. Pareillement Brest, dont la mairie semble avoir oublié les noms locaux issus du breton pour les stations de son tramway. A Vannes, le quartier de Korn ar C’hoed est devenu celui du « Coin du Bois. » Les exemples pullulent et les petites communes ne sont pas en reste.

Plusieurs conseils municipaux de villages ont récemment poursuivi sur celle lancée. Ainsi, à Telgruc-sur-mer, pointe du Finistère, la mairie s’apprête à (re)baptiser trente rues d’un nouveau lotissement. Des panneaux vont bientôt sortir de terre : Allée des goélands… Rue des gravelots… Autant d’appellations fort sympathiques mais sans rapport avec les dénominations historiquement bretonnes que l’on retrouve sur le cadastre d’origine datant de 1831. A l’époque, les gens définissaient leurs parcelles d’après ce qu’ils y cultivaient, également d’après leur forme : enclos, jardin, prairie ; ou bien encore d’après leur situation : près du vallon, de la rivière, sur le mont, etc. Rien ne sera conservé. Le méthode est pour le moins stalinienne. On efface et on rebaptise.

Il est primordial de (re)donner des repères culturels et historiques afin de lutter contre la mondialisation

Cette nouvelle vague normative nous viendrait de la Poste, dit-on, rien n’est moins sûr, il faut cependant trouver une raison chorale qui satisfasse le plus grand nombre. Les facteurs se plaindraient (certainement pas des Bretons !) de l’orthographe locale comportant la lettre « c’h » qui n’est soi-disant pas reconnue par les lasers postaux. De nombreux maires se dissimulent derrière cette (fausses ?) raison en choisissant de rebaptiser certaines rues avec des noms bien français, y compris dans les zones rurales où la toponymie est massivement bretonne depuis toujours. Comment, fichtre ! des élus, ceux du peuple breton, peuvent-ils obtempérer benoitement aux injonctions d’une administration centrale qui « débretonise » par idéologie jacobine ? Nous ne sommes effectivement pas loin du totalitarisme.

Le courrier arrivera-t-il plus vite dans une Bretagne francisée ? Les pompiers seront-ils plus rapides ? Le Samu davantage prompt à intervenir ? Le tourisme y gagnera-t-il à modifier nos spécificités locales ? Ces maires oublient manifestement que les langues régionales sont érigées comme patrimoine culturel national dans la Constitution française, et qu’il est impossible de défendre les intérêts de ses administrés en niant tout un pan de leur culture. Ils oublient en outre que toute langue participe à l’héritage commun, que l’histoire des idiomes est un invariant culturel, que le gaulois a disparu parce que les élites gauloises se sont empressées d’envoyer leurs enfants à l’école romaine ; idem avec les élites provinciales qui, bien plus tard, ont appris à leur progéniture le français au détriment des langues régionales.

Serons-nous plus heureux dans une Bretagne totalement francisée ?

Une langue relève d’un système de communication propre à un ensemble de personnes qui, bien souvent, ne peuvent exprimer ce qu’ils disent qu’à travers cette langue. Ainsi, ne construit-on pas une idée de la même manière en breton et en français : la force du vocabulaire est nuancée, le caractère grammaticale diffère, les mutations nominales aussi ; au reste, une partie du vocabulaire breton est intraduisible puisque vernaculaire au pays de Bretagne. L’on retrouve bien entendu cette spécificité dans les patronymes, noms de rues et de lieux.

Le consentement docile de certains élus soumis à la pression centraliste est d’autant moins justifié que l’essentiel du terreau de la culture française est provincial. Ce truisme devrait être l’occasion d’une renaissance linguistique régionale plutôt que de s’égarer dans un mimétisme francophone stérile qui, bientôt, nous contraindra à tous parler anglais ou chinois. C’est effectivement la Bretagne qu’on assassine. Mais aussi la France. L’histoire jugera. Elle le fait toujours.

Jérôme ENEZ-VRIAD
(Peut-être un jour : Jérôme Île de Bréhat – Traduction littérale de Enez-Vriad)
© Juillet 2019 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

Principales sources :
Alan Stivell : https://www.facebook.com/AlanStivell.Official/
Claude Hagège : Dictionnaire amoureux des langues – Éditions Plon
Ouest-France

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