Trois ans que la presse, la radio et la télévision françaises n’ont eu de cesse d’encourager l’idée d’une repentance britannique à l’encontre du Brexit. L’analyse était mauvaise. L’indéfectible souhait anglo-saxon de quitter l’Europe est passé en un seul vote du carnage politique au triomphe électoral.

Ce furent trois années pendant lesquelles le parisianisme éditorial a essayé de nous convaincre que nos amis d’outre-Manche ne voulaient en fait pas sortir de l’Europe. Trois longues années à nous expliquer par le menu que les sujets de sa Majesté s’étaient trompés, qu’ils avaient triché avec leur avenir au point de vouloir un autre référendum annulant le 1er ; la jeunesse inscrite en masse sur les listes électorales serait cette fois au-rendez-vous du véritable sens de l’Histoire, Histoire européenne, évidemment ! que le Parlement de Westminster a essayé de remettre sur les rails continentaux en empêchant les élus favorables au Brexit de mener à bien la volonté du peuple. Mais ! – il y a toujours des « mais » imprévus – Les Britanniques sont retournés aux urnes. Oh ! Pas pour le fameux référendum supposé remettre au cause le précédent. Du tout. Juste lors d’élections législatives où ils ont voté en faveur du parti qui leur semblait défendre au mieux leurs intérêts. Or ! Ce sont les Conservateurs favorables à la sortie de l’Europe qui viennent de remporter une victoire écrasante. Vox populi, vox Dei.

L’indépendance de l’Ecosse par le biais d’une entrée dans la CEE est un calcul dangereux

Les cadres du SNP – Scottish National Party – ont parfaitement compris que l’indépendance écossaise se joue à rebours de la politique londonienne. Seule compte la volonté du peuple écossais. A ce titre, Nicola Sturgeon, actuel premier ministre au Parlement d’Édimbourg, rappelle que 62% de ses électeurs ont voté contre le Brexit lors du référendum de 2016 ; il est donc, selon elle, hors de question que son pays «soit retiré de l’UE contre sa volonté ». Onze États actuellement membres de l’UE sont plus petits que l’Ecosse. « Nous sommes un pays prospère avec un niveau d’éducation élevé. Nous avons beaucoup de ressources naturelles, des produits qui s’exportent dans le monde entier et pas seulement le whisky. Nous traçons donc notre route, c’est pour cela que l’on doit pouvoir choisir et devenir membres de l’Europe. » En d’autres termes, si la Grande Bretagne quitte l’Europe, les Ecossais souhaitent y rester par la voie de l’indépendance. Le propos n’étant pas l’Europe pour les beaux yeux de la CEE, mais l’Indépendance à tout prix et, si possible, grâce aux subventions de Bruxelles.

L’affranchissement écossais de la suzeraineté londonienne ne peut toutefois s’envisager que selon un processus démocratique, donc référendaire ; en conséquence, l’Ecosse doit organiser un nouveau plébiscite après celui de 2014, lorsque 55% des électeurs n’avaient pas voulu s’émanciper de la Couronne Anglaise à laquelle ils sont unis depuis 1707. « Mon mandat est désormais d’offrir au peuple d’Ecosse le choix de son propre avenir », martèle Missis Sturgeon, qui va devoir jouer des coudes et de la persuasion afin d’enjamber les étapes vers la nouvelle consultation promise. On suppose que l’aval du parlement d’Édimbourg sera une formalité. Celui de Westminster va sans nul doute être plus difficile à obtenir, d’autant que Nicola Sturgeon devra convaincre la Chambre des Lords et celle des Communes, l’une et l’autre ayant force constitutionnelle de bloquer tout processus référendaire. Voilà où le bât blesse ! Boris Johnson, désormais majoritaire aux Communes, rejette catégoriquement l’idée d’une nouvelle votation sur l’indépendance écossaise. Au reste, de nombreux Écossais ne se reconnaissent pas dans le programme du SNP, ni dans celui de la nouvelle majorité conservatrice johnsonienne. Ce sont d’ailleurs eux qui, en 2014, avaient refusé l’indépendance.

Certes, le succès inattendu de la politique identitaire et sociale de Boris Johnson modifie la répartition des pouvoirs à l’avantage des Indépendantistes. Le Ecossais sont-ils toutefois prêts à gérer une indépendance impliquant moult transformations économiques, institutionnelles et culturelles, parmi lesquelles un changement de langue officielle qui deviendrait le gàidhlig en remplacement de l’anglais. Reste ensuite à savoir si certains États peu enclins à reconnaître les cessions territoriales (Espagne, Grèce, Chypre) n’opposeraient pas leur véto à l’entrée dans la CEE d’un Pays dissident. L’indépendance de l’Ecosse par le biais d’une reconnaissance européenne ne dépend pas que d’elle. Le calcul est peut-être plus pernicieux qu’il y parait.

Pendant ce temps, l’Irlande du Nord fait sa révolution identitaire

Historiquement divisée entre les Catholiques nationalistes pro-réunificateur de l’île, et les Protestants unionistes fidèles à Londres, les électeurs nord-irlandais ont cette fois dit « Stop ». L’APNI (Party of Northern Ireland, ou plus communément Alliance, parti centriste non-aligné qui rejette les appellations traditionnelles de Nationaliste et Unioniste) a remporté deux sièges aux Communes avec 18,6 % des voix. Pour la première fois de son histoire, l’Irlande du nord rompt avec sa tradition de vote communautaire. Ils furent des dizaines de milliers à refuser de glisser leur bulletin en fonction d’une appartenance catholique ou protestante, unioniste ou nationaliste, républicaine ou monarchiste. Les frustrations locales et le vote d’une nouvelle génération d’électeurs ont pesé lourd dans ce choix. La surprise d’un tel scrutin oblige désormais les Irlandais du nord à se concentrer sur ce qui se passe avant tout chez eux davantage qu’à Londres. Les partis historiques du Sinn Fein (pro-indépendantiste) et le DUP (soutien de la Couronne) ont recueilli moins de voix que lors des précédents scrutins au bénéfice d’Alliance, mouvement plus modéré sur qui les politiciens locaux vont à l’avenir devoir compter lors des négociations face à Dublin et Londres.

Un doigt d’honneur démocratique sur fond d’Union Jack politique  

Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, un peuple européen a tenu tête aux élites qui s’opposent à sa volonté. Après deux référendums sur le traité de Maastricht au Danemark en 1992 et 1993, deux référendums irlandais en 2001 et 2002 concernant le traité de Nice, deux référendums dans ce même pays sur le traité de Lisbonne en 2008 et 2009, après le référendum néerlandais de 2005 invalidant la Constitution européenne, puis celui des Français refusant le traité de Rome mais dont le choix fut trahi par une consultation parlementaire, n’oublions pas non plus les  référendums en Grèce – 2015, ainsi qu’aux Pays-Bas – 2016, où les gouvernements respectifs ont rejeté sans détour la volonté populaire… Après toutes ces négations de la démocratie, le peuple britannique a tenu bon : il n’y aura pas de nouveau référendum sur le Brexit qui, cette fois, aura bel et bien lieu. On appelle ça un doigt d’honneur démocratique sur fond d’Union Jack politique.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Décembre 2019 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

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