Annaig Baillard-Gwernig était la fille aînée de Youenn Gwernig. Elle vient de nous quitter à l'âge de 68 ans. C'était une figure haute en couleurs, digne de son père, très engagée dans l'écriture, dans la mémoire de son père (et de Kerouac) mais aussi dans l'écologie et le bio. Pierre Tanguy l’avait connu quand il travaillait comme elle à RBO (devenue France Bleu Breiz Izel) et ils échangaient lors des salons du livre où ils avaient plaisir à se retrouver. Annaig avait publié en 2015 un savoureux livre en forme d'autobiographie culinaire : "Un monde à croquer".

Il y a tant de façons de goûter à la vie. Pour Annaig Baillard-Gwernig cela passe, avant tout, par le goût et l’odorat. Son Monde à croquer est un vrai régal de lecture. Le livre fait alterner séquences autobiographiques et… recettes culinaires.

Ce que raconte Annaig Baillard-Gwernig est loin d’être anodin. Elle est l’une des filles de Youenn Gwernig et nous donne, ici, l’occasion d’entrer, par le biais de la cuisine et des plats mijotés, dans la saga de sa propre famille. Certes le « grand Youenn » a raconté dans deux livres son itinéraire de chanteur et d’artiste (La grande tribu, Grasset,1982, et Appelez-moi Ange, Blanc Silex, 2002) mais le regard de sa fille apporte ici un piment particulier à cette aventure familiale.

Tout commence à Scaër. « Mon père est sculpteur sur bois et ma mère, Suzig, crêpière ». Le couple et ses enfants vivent au dernier étage de la maison des grands parents paternels qui tiennent une épicerie. « Je crois bien que c’est là que se forme mon sens aigu de l’odorat », raconte Annaig. Il y a l’épicerie mais aussi le jardin potager (« mon paradis sur terre ») du grand’père Jules que l’auteure révèle, au passage, être l’auteur de la très célèbre chanson Son ar chistr.  

Il y a Scaër, mais aussi Huelgoat où vivent les grands parents maternels (Marianne et Jules).

« Dans cette famille, on est marchand de charbon, mais aussi de bière, de limonade… » Annaig voit sa grand’mère « plumer les volailles de la cour, passer des morceaux de viande au hachoir… ». Le grand’père, lui, « fait sécher les anguilles qu’il pêche et les champignons qu’il cueille dans les bois ».

Tout cet univers bascule quand « le grand Youenn » émigre à New-York pour « chercher du travail ». C’est l’exil américain pour la jeune Annaig (« nous sommes dans les années 50 ») mais sans véritable traumatisme. « Grâce à Suzig nous allons garder une part de Bretagne en nous durant toutes nos années d’exil, elle continuera à nous faire des crêpes tous les vendredis ».  Parallèlement, c’est la découverte des « wagon wheels », ces « pâtes rondes qui ressemblent à des roues de charrettes ». C’est aussi la découverte de la nourriture juive de la copine Peppy (pain azyme, apfelstrudel…), de celle des tribus indiennes (le « pagan-pakwejigan » des Algonquins ou « le lapin chasseur façon apache », dont Annaig nous donne les recettes).

Elle a 15 ans quand la famille revient en Bretagne, du côté du Huelgoat, où Suzig ouvre une crêperie et devient une célèbre chanteuse de kan ha diskan. Désormais tiraillée entre deux cultures (la bretonne et l’américaine), Annaig repart aux Etats-Unis à 19 ans, fréquente notamment des amis cubains et irlandais avant de revenir définitivement au pays.

Oui, Annaig Baillard- Gwernig a bien croqué le monde. Et continue à le faire. Comme s’étonner que, pour elle, la cuisine soit avant tout un mode d’expression et de partage ? Il suffit pour cela, explique-t-elle, des trois ingrédients de base que l’on retrouve dans toutes les cuisines du monde : de la farine, de l’eau et du sel.

Pierre TANGUY
Un monde à croquer, Annaig Baillard-Gwernig, dessins de Gwenola Gwernig, 80 pages, 15 euros, éditions Capbio, 29100 Douarnenez ([email protected])

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