Le métavers est un mot à la mode. Nous sommes toutefois peu à savoir ce qu’il signifie. Et pourtant ! Il évoque une révolution technologique sans égal, véritable transition sociale encore plus révolutionnaire qu’Internet. Alors ! Qu’est-ce donc que le métavers ?

Métavers – en anglais metaverse – est un mot issu de deux vocables anglophones : meta (du grec μετά : au-delà de) et universe. L’expression évoque un univers numérique où il est possible de vivre et interagir en parallèle de la vraie vie, une sorte d’espace virtuel convergeant avec la réalité. Certes ! Cela reste flou. Disons alors que le métavers est une conséquence de la digitalisation globale de la planète qui, très bientôt, verra se reproduire au sein d’un monde numérique les conflits et enjeux du monde réel.

Une évolution naturelle et progressive

Le métavers est annoncé comme le successeur d’Internet. Une réalité augmentée, non pas en remplacement mais en parallèle de la vraie vie, forme de miroir social possédant sa propre économie, ses emplois, ses offres d’achats et de divertissements, un monde numérique persistant qui continue d’exister et d’évoluer lorsque nous n’y sommes pas. Pour mémoire, le Web 1.0 (celui des années 90) était une entité informatique statique centrée sur la distribution de données : l’utilisateur y cherchait des informations… Le Web 2.0 (années 2000) est devenu social en privilégiant la notion de partage : l’utilisateur recevait et distribuait des informations… Le Web 3.0 de la décennie suivante a engagé une transition nomade à travers les smartphones et la géolocalisation. Quant au Web 4.0, en cours depuis 2020 grâce à la 5G, il relie chacun d’entre nous aux univers virtuels à tout moment et en tout lieu… La transition s’est faite naturellement et procédera à l’identique de l’Internet vers le métavers.

Il n’y a pas « un » métavers mais « des » métavers

L’idée de créer des univers numériques parallèles n’est pas récente. Moult tentatives ont vu le jour depuis les débuts d’Internet. Dès 1997, Canal+ avait lancé Le Deuxième Monde, une expérience de vie parallèle dans un Paris reconstitué en images de synthèse. La plus fameuse de ces tentatives reste cependant Second Life, une sorte de cyber-république créée en 2003 qui a compté jusqu’à un million d’utilisateurs. Lors des élections présidentielles de 2007, le cabinet de Nicolas Sarkozy avait loué une île entière dans Second Life, concurrençant ainsi le Front National qui venait d’y ouvrir sa permanence avec le logo du FN placardé sur les murs d’un siège numérique. Dans un tout autre genre, le jeu vidéo EVE Online propose, lui aussi, un monde persistant ; il donne l’occasion aux gamers de s’affronter pour le contrôle de galaxies entières. C’est également le cas du célèbre World of Warcraft qui, au plus fort de son succès, aura compté douze millions d’abonnés. L’utilisation de ces concepts multijoueurs a explosé avec la crise du Covid, permettant d’accélérer la progression des métavers.

La plupart des métavers actuels sont la propriété d’entreprises de jeux vidéo et des GAFAM qui rachètent systématiquement la concurrence afin de la centraliser en une seule entité ou quelques-unes compatibles entre elles. Nous surferons bientôt du Meta-Facebook au Meta-Google vers le Meta-Apple comme l’on passe d’un site web à un autre. Facebook (rebaptisé Meta-Facebook en 2021) affirme vouloir créer un monde alternatif, parallèle et perpétuel, dans lequel les utilisateurs pourront évoluer, se sociabiliser, travailler et se distraire en utilisant des avatars ; la société de Marc Zuckerberg compte investir 50 milliards de dollars US dans ce nouveau modèle. Jeff Bezos n’est pas en reste avec Amazon. Il a créé en 2020 son propre métavers dans un jeu vidéo baptisé New World. Idem avec Apple qui s’est engagé à la commercialisation d’un casque de réalité virtuelle à l’horizon 2022. Plus colossal encore, le projet Metaverse Seoul, du gouvernement Sud-Coréen, a pour vocation de faire entrer la ville dans le métavers : les résidents virtuels pourront visiter ses rues, assister à des festivals, faire leurs démarches administratives, aller dans des commerces avec possibilité de se les faire livrer leurs achats dans le monde réel, etc. Tout cela est prévu courant 2022.

Comprendre pour imaginer demain

Comprendre – Les mondes virtuels évoluaient principalement autour des jeux vidéo jusqu’en 2019. Certains d’entre nous y passaient un temps considérable ; la frontière demeurait toutefois sans équivoque entre un univers destiné aux jeux et la vie réelle. Pour autant, depuis les confinements successifs, certaines entreprises ont vu dans la réalité augmentée un moyen d’accroître leur puissance, réduisant par là-même les frontières entre virtuel et réalité. En avril 2020, lors du premier confinement mondial, la plateforme Fortnite a organisé des événements réels au sein même de son jeu ; le rappeur américain Travis Scott donna un concert diffusé dans le métavers du programme. Nombre de spectateurs ? Douze millions ! Autre exemple. Le jeu Roblox s’est associé à des grandes marques (Vans, Gucci…) afin de proposer aux joueurs un accès à la garde-robe qu’ils achètent dans la vraie vie, ainsi peuvent-ils en vêtir leur avatar. Il n’est d’ailleurs pas rare aujourd’hui que certains joueurs travaillent la journée pour convertir leur argent en crypto monnaie à dépenser dans un jeu, exactement comme d’autres personnes imaginent leur vie avec l’optique de la mettre en scène sur un réseau social : le numérique n’est plus un moyen, mais une fin en soi. On se mariera bientôt dans le métavers comme on le fait déjà à Las Vegas, avec possibilité de faire valider son engament au retour du voyage. Les enfants y étudieront autant qu’ils s’y divertissent déjà, et leurs parents y visiteront l’appartement dans lequel ils rêvent de s’installer.
Imaginer – Internet permet aujourd’hui de visiter en vidéo un appartement : nous entrons dans l’espace en trois dimensions de chaque pièce. Demain, le métavers sera l’appartement lui-même : nous y évoluerons de l’intérieur. Deux éléments principaux seront nécessaires, à commencer par une identité virtuelle matérialisée par un avatar ; l’immersion, quant à elle, se fera grâce à un casque pouvant prendre différentes formes, tel un écran facial rabattable, des lunettes, etc. Imaginons en outre que, de Bretagne, chacun puisse visiter son propre corps en réalité augmentée avec les commentaires d’un grand chirurgien consultant à distance de son cabinet californien… Cet exemple est déjà techniquement possible mais il sera bientôt envisageable avec une présence « physique » des protagonistes dans un univers parallèle. Nous profiterons aussi des mondes virtuels pour participer à des événements réels malgré la distance physique qui nous en séparera. Où que nous serons sur la planète, il sera possible d’assisterez à un match Nantes/PSG au stade de la Beaujoire diffusé dans le métavers. Cela paraît fou ! Mais, grâce à son avatar, chacun pourra bel et bien s’offrir une place dans les gradins reconstitués du stade, parmi les autres sectateurs virtuels, comme si tous y étaient véritablement.
Demain – Souvenons-nous du film Valérian et la Cité des mille planètes de Luc Besson, dans lequel des excursions sont organisées à destination d’un centre-commercial virtuel, le « Big Market ». Le principe n’est pas d’y être immergé en continu mais d’ajouter du virtuel au réel. Voilà l’avenir du métavers. Tout commencera par nos environnements professionnels. Les entreprises construiront des espaces augmentés destinés à leur personnel. Chaque employé travaillera de chez lui avec ses collègues, ensemble dans une configuration « classique » malgré la distance ; cette nouvelle immersion marquera la différence avec les vidéoconférences actuelles. Suivront ensuite les applications relatives aux nouvelles technologies, telle la traduction simultanée en différentes langues, etc. Il n’y a qu’un pas à franchir pour affirmer que nous travaillerons bientôt dans le monde réel afin d’offrir à notre avatar la garde-robe nécessaire aux réunions d’entreprises organisées dans le métavers.

Des opportunités à l’échelle planétaire

L’expression métavers illustre davantage un concept qu’une technologie. L’idée est simple. Permettre de vivre dans un monde augmenté d’une réalité virtuelle sans jamais qu’elle se substitue au réel. Exemple. En janvier 2022, le groupe Carrefour a fait l’acquisition d’une parcelle de terrain dans le jeu The SandBox, un métavers qui utilise la crypto-monnaie décentralisée SAND. Le propos est de créer les centres commerciaux virtuels du futur. Attention ! Ne pas confondre virtuel et numérique. Le virtuel est un espace en 3D dans lequel nous pénétrons ; le numérique est ce que chacun vit déjà au quotidien lorsqu’il télécharge des films, écoute de la musique MP3 ou se distrait en ligne sur des plateformes de jeux.

Les univers augmentés représentent des opportunités de travail sans limite. Parmi ces activités lucratives notons l’enseignement à distance… la création de jeux et d’applications… l’ouverture de magasins : mode, musique, culture, dont les achats pourront être livrés dans le monde réel… de manière plus anecdotique (quoi que !) les créateurs de mode pour avatars ne seront pas en reste… les architectes y auront leur place et concevrons des édifices virtuels… de fait, les décorateurs d’intérieur aussi… nous y verrons également des agences immobilières… etc. En 2017, sur Decentraland, une plate-forme de réalité virtuelle, chaque parcelle de 23km² valait 20 dollars US ; en 2021, la plus chère a dépassé les deux millions.

Une Bretagne réunie et indépendante

Que se passerait-il si chacun utilisait une partie de son argent en monnaie convertible dans le métavers ? De facto, un énorme pourcentage du PIB national s’évaporerait par l’intermédiaire d’une crypto-monnaie. Cela deviendrait un enjeu vital pour chaque nation, aussi important que la « méta-immigration », ces gens qui, abandonnant leur pays sans le quitter, travailleraient et consommeraient dans un monde augmenté. A propos ! Qu’en sera-t-il des régions… de L’Alsace… de la Catalogne… de la Corse… l’Irlande du Nord… la Lombardie… et bien entendu de la Bretagne face à leur pays tutélaire ? Qu’adviendrait-il si une entité politique virtuelle choisissait d’offrir son indépendance à une Bretagne réunifiée ; pays devenu libre et autonome dans un environnement dynamique et réaliste où les gens se rassembleraient pour militer, comme les prémices d’une véritable indépendance si le virtuel venait à déteindre sur la réalité, ce qui finirait immanquablement par se produire ? Ici naît un enjeu politico-social jamais égalé. D’ailleurs, ne nous leurrons pas, la course au métavers dissimule bien des enjeux de souveraineté.

Des interrogations philosophiques, sociétales et morales

Philosophie – Les critères de l’amour ne sont pas les mêmes dans un univers numérique et dans la vraie vie ; en conséquence, de nouvelles attentes engendreront de nouvelles frustrations, et les valeurs familiales risqueront de s’estomper à force de déconstruction… Les codes moraux s’évanouiront puisque (par exemple) tuer quelqu’un dans un métavers n’aura pas les mêmes conséquences que dans la vie réelle… Les engagement à long terme disparaitront car l’individu privilégiera la vitesse numérique à celle du soleil, privilégiant le changement, la mutation et la disruption plutôt que la patience et le statut quo… etc.
Société – Si une partie de l’activité humaine se déplace vers la sphère numérique, qu’adviendra-t-il de ceux qui n’y auront pas accès ? Ne risque-t-on pas d’assister à une forme de ghettoïsation géante, où une partie du monde réel deviendrait le quartier malfamé d’un monde virtuel idéalisé ? Se posent également des questions d’ordre écologique : où et comment stocker sans pollution les serveurs d’un monde alternatif dont l’utilisation demandera une quantité d’énergie considérable ?
Morale – Le monopole des GAFAM est aujourd’hui incontournable, au point d’être plus puissantes que certains États. Les lois de ces multinationales planétaires dépendent uniquement de leurs dirigeants. Impossible aujourd’hui d’employer certains mots sur les réseaux sociaux sans être immédiatement bloqué. De fait, l’émergence d’un métavers centralisé soumettrait ses utilisateurs, non plus à la loi du pays duquel ils se connecteraient,  mais aux Terms of Service de ces lieux imaginaires.

Le métavers est-il [in]évitable

Le métavers n’est pas un espace mais un moment ; un point de bascule où l’univers augmenté entrera en concurrence avec la vie réelle. Lorsque tous les éléments actuels de notre vie seront numérisés, ils donneront naissance à une nouvelle manière de consommer, de travailler, de nourrir nos relations sociales et, en fin de compte, remodèleront nos identités. L’humanité basculera dans cette confrontation à l’horizon d’une dizaine d’années. Cela se fera naturellement. Personne n’imaginait à la fin des années 90 que la presque totalité des rapports humains se feraient aujourd’hui via les réseaux sociaux ? Quiconque se demande si le métavers est inévitable a déjà cinq ans de retard. Il est là. Sous nos yeux. En construction.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Février 2022 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

Documentation partielle

Livres, BD et magazine :
Science & vie n° 1252 – Janvier 2022
Le Samouraï Virtuel, de Neal Stephenson – Éditions J’ai Lu
Player One, de Ernest Cline – Ed. Pocket
Comprendre les NFTs et les métavers, de Laurent Gayard – Ed. Slatkine & Cie.
La réalité virtuelle démystifiée, de I. Thouvenin & R. Lelong – Ed. Eyrolles
Les Métavers, de J. Pequignot & F.-G. Roussel – Ed. L’Harmattan
The Metaverse, de Matthew Ball – Amazon
The Metaverse : Virutal Life – Real Death, de William Kurt – Amazon
– Valérian : L’Empire des Mille Planètes, de P. Christin & J.C. Mézières – Dargaud BD

Films :
Tron, de Steven Lisberger – 1982
Tron L’Héritage, de Joseph Kosinski – 2010
Valérian et la Cité des mille planètes, de Luc Besson – 2017
Ready Player One, de Steven Spielberg – 2018

Liens Internet :
https://www.youtube.com/watch?v=yv8ThzwE8Ts
https://www.theblockcrypto.com/post/120929/atari-wants-to-be-a-real-estate-whale-in-the-metaverse
https://www.thetradedesk.com/us/news/the-metaverse-how-brands-are-boldly-embracing-marketings-new-frontier
https://about.fb.com/news/2021/10/facebook-company-is-now-meta/
https://www.journaldugeek.com/2021/09/29/new-world-le-mmo-damazon-est-enfin-disponible/
https://www.iphon.fr/post/apple-metaverse-power-on
https://www.bloomberg.com/news/newsletters/2021-11-13/what-the-metaverse-means-for-urban-life

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