De nombreux artistes se sont intéressés aux îles bretonnes. Jean-Michel Caradec et Laurent Voulzy les ont chantées… Henry Queffelec et Hervé Jaouen les ont décrites… René-Guy Cadou et Angèle Vannier les ont mises en vers… Eugène Boudin et Bernard Buffet les ont peintes…

La Bretagne concentre 70% des îles métropolitaines. De la plus grande : Belle-Île, à la plus petite : Molène, environ dix mille personnes vivent à l’année sur une vingtaine d’entre-elles, soit l’équivalent d’une ville comme Ploërmel (56) ou Dinan (22). Hélas ! les îles bretonnes nourrissent une forte pression touristique reléguant les insulaires sur le continent : environ 62 % des logements y sont des résidences secondaires où se rendent près de deux millions de visiteurs annuels. Elles sont autant de paradis miniatures à fleur d’eau. Certaines s’enorgueillissent d’une floraison permanente : Bréhat, Batz…,  là où d’autres ont la rugosité d’une crêpe-dentelle émergée au milieu des embruns, telles Ouessant et Molène.

A condition de passer par la mer

Que l’on soit grand navigateur ou simple lecteur, la découverte d’une île est toujours merveilleuse. Jean de Béthencourt – premier Occidental à avoir appareillé à Lanzarote en 1402 – évoque l’enchantement de la découverte insulaire dans ses nombreux journaux de bord ; quant à Alfred Grandidier – non moins célèbre explorateur – ses publications consacrées à Madagascar, où il accoste en 1865, relèvent d’un voyage féérique insoupçonné. Aller « au-delà de l’eau » n’est pas un souhait banal. Le périple qui mène vers une île est toujours extraordinaire, à condition de passer par la mer.

Ce moment privilégié de la préparation au voyage est un ressenti unique dans la mesure où il oblige à changer d’élément : on quitte la terre pour y revenir par l’entremise de l’eau. Certes, l’avion peut être utile, mais la notion de découverte n’est pas la même : en avion on se déplace, alors que le train et le bateau engagent le principe de l’exploration par le vagabondage : le fameux transire benefaciendo de Jules Verne qui devrait guider tout homme raisonnable vers les belles entreprises. Nul besoin d’aller loin pour trouver le dépaysement, il suffit d’abandonner ses certitudes et d’être attentif à la nouveauté, au changement, à la différence, et de rendre au temps le temps qui lui appartient. C’est chaque fois un embarquement pour Cythère, sorte de billet vers la terre promise : le voyageur par mer coupe les amarres du quotidien et accepte de s’en remettre aux circonstances… aux rêves… aux mythes et aux légendes.

Des paysages propres à chaque île

La Bretagne possède quantité d’îles aussi variées que leurs paysages et leurs meurs. Chacune témoigne de la richesse d’un pays et de son histoire à travers mout spécificités dont la vie moderne fait table rase sur le continent. A Belle-Île, ce sont les idées rousseauistes des ministres de Louis XV qui permirent d’accueillir les rapatriés Acadiens… A Houat et à Hoëdic, les recteurs se sont secrètement inspirés de Platon pour établir leur charte… A Ouessant, les moutons se gaussent des clôtures : l’espace est une pâture sans grillage ni barrière, faisant fi des propriétés privées et de leurs habituels arbitrages cadastraux…

Les paysages sont propres à chaque île . Dans un petit espace on retrouve tout ce qui fait une région ou un pays. Artistes et intellectuels ne s’y sont d’ailleurs guère trompés. La lumière insulaire bretonnes est toujours exceptionnelle. Depuis Sarah Bernard à Belle-Île, et quelques autres plus discrets ailleurs, l’inspiration îlienne confirme que l’esprit et la grâce ne viennent jamais des endroits médiocres. Le tourisme de masse n’a pas encore tout gâché en Bretagne ; on continue de vivre au mieux d’une qualité essentielle à Ouessant, Batz ou Belle-Île ; et si certaines îles s’endorment un peu l’hiver, c’est pour mieux renaître à la belle saison.

L’amour insulaire tient du sortilège

Les îliens tiennent farouchement à leur indépendance. Ils organisent une vie sociale parfaitement structurée afin de vivre harmonieusement dans un espace réduit. Ressources et intelligence restent indispensables. Ce sont autant de spécificités, parfois de contraintes et même de restrictions qui, au bout du compte, forgent des personnalités au caractère endémique à chaque lieu. Ces gens-là ne trichent pas. Ils sont vrais, inoxydables et débordent d’une fantaisie dont l’imaginaire nourrit leur influence sur l’habitat. Il y a, bien entendu, les hommes, mais aussi et surtout les femmes : épouses de marins ou agricultrices, chacune d’elle est une véritable madone cohabitant avec les divinités celtes et arthuriennes, un dimension féminine particulière qui souvent fait rêver ces messieurs des villes. Car l’amour insulaire tient aussi du sortilège.

Jérôme ENEZ-VRIAD
Illustrations : L’île Vierge (Finistère) // Ouessant (Bernard Buffet – 1972) // La mer à Douarnenez  (Eugène Boudin)
© Septembre 2021 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

Prochain épisode : La Bretagne et ses îles : L’ile de Batz 

A lire aussi : Les plages de Bernard Buffet étaient bretonnes.

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