Joyeux comme un mort en Espagne HermineHermineHermine

On se souvient d’Ordesa. On se souviendra d’Alegria. Manuel Vilas nous fait entrer de plain-pied dans son Espagne. Qui est la nôtre car chacun a son Espagne. Sa folie. Son rêve et ses chagrins. Le livre Alegria est un livre du deuil puisque Vilas n’est que ça. Consubstantiellement endeuillé. Le ratage est sa convention. Le raté sa communion. Il a raté ses parents et c’est ça qui, éternellement, le réunit. Il rate ses enfants et c’est ça qui l’unit à eux. Il rate sa nouvelle femme, Mo (Mozart), la foirade beckettienne est son assomption ! Écrivant, il se ratatine et nous ratatine, oui, en s’expédiant et en nous expédiant, fusée magnifique, dans l’astre littéraire.

Car on file avec lui. Pourquoi se sent-on si bien avec celui qui dit se sentir si mal ? C’est qu’il sent tout, explore tout, hume, respire, sa vie est une inspiration d’expiration. Nous sommes littéralement embarqués dans le vaisseau spatial de sa pensée, de ses angoisses. De ses plaisirs, il en est, de ses impasses ou de ses longues pérégrinations très précises de l’amour.

Les impasses sont notre lot et l’amour en est une. Manuel Vilas est fou, littérairement fou d’amour. Insensé d’amour, ruisselant, épuisé, lessivé d’amour. Et, pas besoin de le redire, d’amour raté, de peu, mais raté toujours. Ajoutons à Lacan qui affirme abusivement que le rapport sexuel n’existe pas non plus, ça que nous ajoutons, que la relation. Si Vilas tient tout pour de l’amour, même le pire de la séparation, c’est que le dire ne le retient pas, sauf, c’est ça le miracle, dans le fugitif de l’écriture. Miracle du fugitif : scripta non fugit ! Alors Vilas roule à fond comme un VRP du vide. Il vend du plein qui, au fur et à mesure, d’hôtel en hôtel, expire. Rien de plus vide que les hôtels où il échoue. Il échoue à s’y trouver, à y trouver une maison. Il n’y a d’abri, ni à Venise ni en Amérique, ni avec ni sans Mo, ni seul. Puisque l’Espagne est son topos.

Thomas Bernhard se soutient de l’Autriche, il la haït. Vilas de l’Espagne, qu’il sublime. Sûr qu’il tourne en rond dans le Rioja. Sûr qu’il se saoule sans un gramme d’alcool !

L’Espagne : itinéraire du berceau au cercueil. Entre les deux, les Seat 600, puis 850, enfin 124, les sports d’hiver en Aragon, la calvitie de Franco, les gens de droite sont chauves, non ? Et les tignasses de gauche à commencer par celle de Felipe Gonzalez.

Je crois que ma mère, mon père, mon frère et moi pensions que Felipe Gonzalez était l’Espagne. On ne peut concevoir un pays qu’au travers des gens qui le représentent.

… /… La démocratie est prolifique en matière de cheveux. Le dictateur Francisco Franco était chauve. La calvitie de Franco était celle de l’Espagne.

Car précisons, il est temps, que ce livre des deuils est hilarant ! Précisons que le rire n’y est pas noir mais joyeux, allègre en tout point, comme en espagnol son titre l’indique au mieux.

Lisons ce livre riant malgré son lot de père mort et son lot de mère morte. En dépit de son peu d’espoir à les retrouver, à les rencontrer aux coins du bois, au fond d’un verre sec puisqu’on l’a dit, Vilas (vrai ou faux) a cessé de boire. N’empêche, père et mère sont là, ou la montre en or, ou la Seat, ou les amis de ses parents qui sont comme des parents-bis. À ceci près qu’ils pourraient, cousins ou cousine, avoir un savoir concurrent. L’opposer et témoigner à charge ou à décharge.

L’auteur s’y confronte, ou pas. Raté à tous les coups !

La vérité, n’est-ce pas, n’est jamais que littéraire. Le désir, littéraire aussi ! Tant pis pour l’avérité.

Manuel Vilas renvoie chacun de ses lecteurs, nous, en notre Espagne. À la lecture minutieuse voire obsessionnelle des détails espagnols de soi. Le diable y gisant, il gît plus souvent qu’à son tour. Lisez d’enthousiasme et sans bande-son l’histoire de Bra et de Valdi (Brahms et Vivaldi), les enfants, les histoires de Bach et Rachma, frère du père et logiquement oncle, et de Wagner, la mère. Et l’histoire de l’insensé, la névrose incessante, le ressassement poétique, le surplace le dénommé Arnold !

Chacun son Espagne et chacun son Arnold. Un boulet, une boule au ventre ou de glace ! Arnold ou la résurgence de Kafka !

Arnold, comme Schönberg ! Le livre, on le voit, une fois de plus, est polyphonique, polycomique, dadaïste (avec étape zurichoise !) quoiqu’en toute fin de parcours le ciné prend le dessus. Cary est le père et la mère est Ava !

Gardner évidemment.

Un synopsis à lire d’une traite pour attendre la prochaine livraison. Cuando ?

Parfois je songe au divorce des morts. J’imagine que vous n’êtes pas ensemble car vous avez obtenu le droit de vivre une mort l’un sans l’autre, vous avez décidé de redevenir un homme et une femme et non plus mes parents …./..  Vous marchez dans les étoiles, chacun à la recherche d’un autre lieu dans l’univers, prêts à gravir le grand escalier de la joie.

Alegria !

Gilles CERVERA

Manuel Vilas Alegria, Éditions du sous-sol, 398 pp, 22€50

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