« Human~Kelt », c’est le cadeau qu’Alan Stivell s’est offert – et nous offre - pour ses 50 ans de carrière. L’occasion de revisiter ses classiques et de proposer de nouveaux titres. Mais aussi l’opportunité d’inviter de nombreuses stars : Andrea Corr, Murray Head, Bob Geldof, Francis Cabrel… Et tant d’autres qui ont répondu présent ! Le barde breton s’est prêté aux jeux des questions. Interview.

Le nom de votre album « Human~Kelt » est séparé par un tildé et non un simple tiret. Un acte de résistance ?
Quitte à faire un tiret, autant mettre un tildé ! Effectivement on est dans l’actualité (L’administration française refuse le prénom Fañch, procès en cours, ndlr). Le diable est dans le détail comme on dit. Tout le ressenti de la Bretagne contre Paris  se résume à ce Tildé. Pourquoi Paris se prend pour Louis XIV, décide et commande au nom des bretons ? Comment voulez vous qu’on réagisse, qu’il n’y ait pas un peu de révolte ? Le caractère breton n’est pas violent, mais on ressent une sorte d’agression. Le tildé est devenu un symbole.

Une forme de lutte ?
Oui. Au départ, je pourrais m’en foutre. Mais ça fait parti de l’orthographe bretonne. Donc on la respecte, comme on respecte les bretons.

Vous avez dit que « Human~Kelt » était le chantier le plus lourd depuis « La Symphonie celtique ». Pourquoi ?
Déjà il y a 20 titres. C’est beaucoup pour un album.  Et un tiers des titres sont des nouveautés, le reste des reprises de mes anciens morceaux. Pourtant ces réinterprétations génèrent exactement le même travail que sur une création. Je n’ai pas voulu prendre une heure de studio pour refaire « Tri Martolod ». Quel intérêt ? Pour moi déjà ! Au fil des années, j’améliore certains détails, même si je sais bien que je n’arriverais jamais à la perfection. Mais là ça va plus loin. Prenons « Tri Martolod »… Je me demandais vraiment si j’allais le mettre sur l’album une fois de plus. Mais ce disque  retrace mes 50 ans de carrière : il était difficile d’oublier ce titre plébiscité. Du coup, j’ai relevé le défi. J’avais plein d’envie différente. J’aurais pu enregistrer 20 versions différentes du titre. Mes approches musicales sont à 360°, ça englobe – de façon très modeste – tous les temps et tous les espaces ! De tous les continents en fait ! A un moment donné on peut avoir une connotation musique classique avec un ensemble de cordes, puis un côté rock, ensuite une influence irlandaise voire grecque, une guitare folk américaine, un petit coup d’accordéon, un côté électro, etc. Et comme j’ai un peu de mal à choisir, j’ai placé toutes ces émotions dans un morceau de 4 minutes. Les 20 « Tri Martolod » sont dans cette version. Après, on peut en dire autant d’autres morceaux. Et si à la fin j’ai toujours un doute, je sais que l’originalité et l’éclectisme sont là.

Revenir sur ses anciens morceaux, ça naît d’une insatisfaction permanente ?
On n’est jamais satisfait complètement. Et comme j’en ai l’occasion, je le fais ! Par exemple sur « Son ar Chistr », je n’ai pas pris les textes d’origine en écrivant des couplets en breton et en anglais ; j’ai aussi inclus un sample d’Angelo Branduardi en Italien. Ces différentes langues pour rappeler que quand le titre est sorti (en 1970, ndlr), il a été repris et traduit en hollandais par Des Bots et devient un tube. Puis il est traduit en allemand, en danois, en italien, en anglais… Ritchie Blackmore de Deep Purple le reprend aussi, etc. Résultat : c’est le chant breton le plus connu dans le monde ! Beaucoup plus que « Tri Martolod ». Sauf qu’on ne le sait pas en Bretagne et à l’étranger, personne ne sait d’où ça vient. Chaque pays pense que c’est un chant traditionnel local ! Sur cet album, c’est intéressant de rappeler aux gens que ce titre est breton ! Les bretons doivent avoir conscience de l’impact et de la séduction que peut avoir la culture de leur pays.

Et l’impact de l’interprétation par Alan Stivell !
Surtout par la mélodie qui a été composée un jour par le paysan ou le marin pécheur du coin. Bien sûr, il y a aussi le petit travail d’arrangement… C’est une collaboration !  Sur cette nouvelle version, j’ai enlevé un peu d’alcool dans le cidre et j’ai mis un peu moins de machisme histoire de revisiter les choses. De même, quand je reprends un thème gaélique, j’essaye de mieux prononcer les paroles qu’à l’époque !  Aujourd’hui, je prends des coachs et j’essaye d’améliorer mon accent.

En quoi « Human~Kelt » est une démarche différente de votre album « Again » ?
On pourrait considérer qu’elle n’est pas si éloignée, sans rappeler qu’ici il y a des titres nouveaux, et qu’on est en 2018 ! J’ai évolué, musicalement et techniquement. Je suis une éponge et j’intègre tout ce qui se passe autour de moi.

Et pourquoi ne pas avoir sorti 2 albums : un de reprises et l’autre avec les nouveautés ?
On aurait pu. Mais ça n’a pas été (rire) ! Il y a une part de spontanéité. De même, certains pourraient penser que c’est un album de duo. En plus c’est à la mode. Je n’ai pas cette intention au départ. De même, je ne connaissais pas le nombre de morceaux que j’allais revisiter. Quand j’ai invité Andrea Corr ((chanteuse de The Corrs, ndlr) sur un morceau, je ne savais pas qu’elle allait me dire « Tu veux pas que je t’en chante une deuxième ? ». Je n’aurais jamais osé lui demander ! Et c’est comme ça qu’elle a interprété en gallois, en breton et en anglais la berceuse galloise « A hed an nos ». A l’époque dans ma première version, j’étais frustré de tout chanter en anglais.

il y a aussi un côté militant dans cet album. C’est assez porteur pour la langue et la culture bretonne qu’un artiste international, connu dans le monde anglo-saxon, chante en breton ! C’est vrai aussi pour Bob Geldof, Murray Head… Et quand je fais chanter Francis Cabrel pour la première fois en occitan. Ça peut interpeller : si c’est personnalités là le font, c’est que la langue bretonne n’est pas réservée aux militants un peu fous au fin fond de la campagne !

L’album est donc autant un acte artistique qu’un message politique ?
C’est très imbriqué de toute façon. Dans mon parcours et ma personnalité, on ne peut dénouer les deux. Mon ADN est autant artistique que politique. Je ne serais jamais monté sur scène si ce n’était pas pour défendre la cause bretonne.  En revanche, la défense de la cause ne doit jamais étouffer la partie artistique.

C’est dans cet esprit que Charles Aznavour a défendu l’Arménie ?
Oui, on peut comparer. On est très différent, mais ça se rejoint, car la grande cause de sa vie a été l’Arménie. Il a défendu son pays comme moi je défends la Bretagne.

La réalisation de « Human~Kelt » a pris combien de temps ?
Il faut compter plus de 4 ans. Evidemment, c’est pas 4 ans à temps complet. Mais à l’arrivée, je n’ai jamais passé autant de temps sur un album. Il y a eu énormément de travail de mixage. Chaque détail de son m’intéresse. J’ai toujours eu l’approche du son avant les notes. Elles ont une importance secondaire. Les couleurs m’intéressent. Après que ce soit une note ou une autre…

Sur votre album, Francis Cabrel chante en occitan. C’est aussi un militant régionaliste ?
On s’est croisé plusieurs fois, mais on n’a jamais eu le temps d’avoir de longues conversations sur ces sujets là. Finalement, ce qui m’intéresse, c’est la démarche. On voit bien qu’il est attaché à tout ce monde là.  Qu’il chante en occitan, c’est symbolique pour un artiste populaire français. Certains politiques vont peut-être s’interroger. Et se demander si c’est normal de laisser tomber la culture occitane.qui était la principale culture européenne au Moyen Age.

Dans cette Europe en mouvement (Pays Catalan, Ecosse, Flandre, Corse…), pourquoi la Bretagne est à la traîne ?
Sur le plan musique c’est faut. Par contre, il est vrai qu’il n’y a pas eu de grands leaders politiques en Bretagne. Pourquoi ? Peut-être parce que les circonstances historiques ne l’ont pas voulu. La langue, dès les siècles d’indépendance, était réduite à l’ouest du pays. Dès le règne des Ducs, la classe dirigeante parle français ou latin. Cette situation là, n’est pas celle de la Corse. L’autre problème, c’est que la majorité des classes dirigeantes et intellectuelles en Bretagne ne sont pas à la hauteur : que font-ils pour leur pays ? Le complexe d’infériorité existe encore un peu. Beaucoup moins dans le peuple d’ailleurs. Nos professeurs connaissent les grands philosophes grecques, mais pas l’histoire de leur pays, la Bretagne ! Normal qu’il ait des complexes puisqu’il n’a pas de culture générale ! Et ils balayent ça d’un revers de la main. Ils ont presque envie que ça disparaisse pour ne pas avoir honte. On le voit quand les députés bretons n’ont pas soutenu la réunification.

Nantes va-t-elle revenir en Bretagne un jour ?
A mon âge, c’est 50/50. Ce qui veut dire que je suis optimiste puisque  il suffit de peu de chose pour gagner. Quand j’étais enfant, parler d’assemble régionale était une folie. « Au fou ! Il veut revenir au Moyen Age » disait-on. Il y a un peu d’espoir…

Propos recueillis par Hervé DEVALLAN
Sortie de « Human~Kelt » le 26 octobre 2018

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