Jean Kergrist publie aux récentes Editions des Montagnes noires ( Gourin) une passionnante étude au sujet des rapports conflictuels entre Républicains et Chouans dans les Côtes-du-Nord de la toute fin du XVIIIè siècle. Un ouvrage très documenté, vrai plaisir d'historien soutenu par une langue vive et somptueusement colorée. Un régal !


Il faut souvent prendre les clowns au sérieux. Jean Kergrist en est la preuve sans contredit. Lui qu’on a connu saltimbanque, clown atomique, clown agricole, batteur d’estrades, est aussi – mais qui ne s’en doutait ? – un penseur, un historien dévoreur d’archives, bref un intellectuel au sens le plus riche et le plus fondé du terme. Qui a tué Poulain-Corbion ?, étude historique serrée consacrée à la mort du Commissaire exécutif du Directoire de Saint-Brieuc ( alors Port-Brieuc) dans la nuit du 4 au 5 brumaire an VIII ( 26 au 27 octobre 1799 ) confirme cette aisance et ce talent. L’ouvrage, à la fois thèse savante et saga historique truculente, revient dans les moindres détails sur cette nuit agitée qui vit un millier de Chouans investir Saint-Brieuc pour y attaquer la prison.

On a plaisir réel à revenir deux siècles en arrière et à comprendre avec Jean Kergrist que, sans renier aucunement l’oeuvre révolutionnaire, on peut se pencher avec intérêt sur les motivations des Chouans, lesquels, loin d’être tous des obscurantistes soumis à Dieu et au Roi, luttaient à leur façon obstinée contre certains abus et profits malhonnêtes de certains nouveaux maîtres du temps lesquels saisissaient le commode prétexte révolutionnaire pour tirer indécent profit des expropriations des certains paysans accusés de « mal penser ».

Somme toute, le livre nous renvoie à nos  » racines antagonistes » et c’est à juste titre que Jean Kergrist cite Mona Ozouf qui évoque dans son magistral essai Composition française ( Gallimard, 2009) nos « pensées belliqueuses et contradictoires ». Car, au-delà des idéologies, ce qui passionne toujours Jean Kergrist ( et nous comme lui), c’est la révolte de l’homme humble, spolié par le pouvoir en place et qui n’a à la pensée ou à la bouche que cette phrase qui sera durant toute l’ Occupation allemande la fière devise de Jean Guéhenno :  » Mais la servitude finira ».

On lit donc un ouvrage dense de près de 200 pages, sans l’ombre jamais d’un ennui ou d’une lassitude. Sous la plume enjouée de l’auteur déjà remarqué des Bagnards du canal de Nantes à Brest, Saint-Brieuc et ses campagnes environnantes deviennent passionnément modernes. On y retrouve des lieux-dits inchangés, des rues familières. On se plait à ce récit épique de combats souvent maladroits, désordonnés. On y lit par dessus tout la volonté farouche des hommes de se libérer du joug de ceux qu’ils jugent être leurs oppresseurs – en tous temps, en tous lieux. En cela, Kergrist touche vraiment au but : son insoumission permanente nous séduit – infiniment.



Qui a Tué Poulain Corbion? / Editions des Montagnes Noires/ Avril 2012 / 192 pages

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