En quittant sa mère à laquelle il tient par-dessus tout ainsi que le reste de sa famille, le jeune Luis veut accomplir son rêve et marcher dans les pas de celle qui lui a tout appris. Mais pour cela, il lui faut fuir Mexico et toute sa violence.

– Portrait 2/7 – 

Le départ est proche. Luis a reçu les dernières instructions. Il devra porter des cheveux courts et s’habiller tout de noir. « J’ai préparé un petit sac, j’ai enfilé un pantalon et une veste de la couleur demandée et j’ai filé vers l’aéroport où j’ai pris l’avion avec cinq personnes que je connaissais, se souvient le Dreamer. Je me rappelle qu’il y avait une petite fille de sept ans avec nous. »

La tristesse et la peur sont du voyage mais la volonté de gagner sa liberté est plus forte. « Je voulais fuir la violence de mon pays et réaliser mes rêves tout en aidant ma famille », résume simplement le fils de Maria.

Le voyage vers Nogales a lieu en septembre 1999. Même s’il est conscient du danger et des risques qu’il encourt, Luis n’a pas encore idée de ce qui l’attend, là-haut dans le Nord. Heureusement pour lui. « Une fois sur place, nous avons dû rester un mois près de la frontière, poursuit-il comme encore hanté par cet épisode. La situation était vraiment difficile. On avait peur de se faire attraper. »

« Je ne savais pas nager »

A l’interminable attente s’ajoute une autre galère. « Avec le groupe, il a fallu s’y reprendre à cinq fois pour traverser, reprend le jeune Luis. Systématiquement, on devait faire machine-arrière. On attendait la nuit. Ou bien, il y avait trop de courant ou ce n’était pas le bon moment. » Pire. Le garçon ne sait même pas nager. « J’avais fabriqué une sorte de bouée artisanale à laquelle j’essayais de m’accrocher, mais il fallait tout le temps recommencer. »

Connus pour leur absence totale de scrupule et souvent pour leur extrême violence, les « coyotes » remettent de nouveau tout le monde à l’eau. Cette fois sera la bonne. Le 20 octobre 1999, Luis et les autres membres de l’équipage se débattent en silence dans les courants sombres de la nuit.

Panique muette

Sur une distance de plusieurs dizaines de mètres qui paraissent des kilomètres, un faux mouvement peut être fatal, chacun tient à sa peau. La crainte paralysante de partir au fond de l’eau se mêle aux clapotis sourds des paquetages transformés en radeaux de survie. Dans une panique quasi muette, hommes, femmes et enfants progressent lentement, gesticulant, accrochés à leurs maigres effets avec le fol espoir de gagner l’autre rive.

Un miracle se produit. Haletant d’angoisse, Luis finit par toucher le bord opposé. Il sort de l’eau, son barda serré tout contre lui. Le reste de la troupe se tire aussi d’affaire. Tout le monde s’en sort et bien vivant.

« J’ai cru que j’allais mourir »

L’adolescent vient de toucher le sol américain. « J’ai pris ce jour-là le risque de ma vie, s’étonne encore Luis pointant de l’index le fond de sa cuisine pour décrire la distance parcourue. C’était à peu près d’ici à la plonge. J’ai cru que j’allais mourir, que je ne reverrais plus jamais ma famille. Mais arrivé de l’autre côté, je me suis dit, ça y est, tu l’as fait. »

Les deux pieds plantés au sol, le jeune garçon n’a pas le temps de reprendre ses esprits qu’il embarque dans une voiture, direction Los Angeles. « Je me rappelle qu’on nous avait fait dormir dans un hôtel, cela nous faisait tout bizarre. » De là, direction New York où l’attend son frère. « On avait fait la route en voiture. » Cinq jours de voyage de la côte Ouest jusqu’aux portes de la ville qui ne dort jamais. Moment magique. L’adolescent avait tellement joué et rejoué ce moment dans sa tête.

La rage au ventre

« J’étais vraiment heureux de me retrouver enfin à New York, se rappelle Luis, sourire jusqu’aux oreilles. Je me sentais libre, plein d’énergie, prêt à relever tous les défis. » Les choses ne traînent pas. Trois jours plus tard, le gamin se retrouve plongeur au Shelly’s, un steak-house typiquement new-yorkais. Puis trois semaines passent, Luis débarque en cuisine comme préparateur. Le début de la grande aventure. Comme à la maison, le jeune Gutiérrez observe et apprend vite, très vite, son rêve cette fois à portée de main.

Gros bosseur comme une très grande majorité de sud-Américains, l’adolescent est aussi super rapide à la tâche. Mais il parle peu. La crainte sans doute, un brin de timidité peut-être et un tantinet de solitude même si le grand frère n’est jamais loin. Et puis, la barrière de la langue est là. Luis bredouille en anglais. Apprendre avec les copains eux-mêmes latinos n’est pas forcément d’un grand secours. Des cours lui donneront un bon coup de main.

En attendant, le marmiton écoute et fait ce qu’on lui demande. Malgré son très jeune âge, il sait que la route sera longue et qu’il lui faudra beaucoup travailler pour y arriver. Mais le petit a la rage au ventre.

« La cuisine est toute ma vie »

Depuis le jour où il l’a appelée pour la rassurer, Luis passe un petit coup de fil à sa mère toutes les semaines. Un rituel qui le rapproche un peu de celle qui est restée derrière lui tout comme la maman de sa petite Nahomi. Malgré l’éloignement, la passion au bout des doigts, il persévère. « La cuisine, c’est toute ma vie, c’est toujours ce que j’ai voulu faire », répète le minot à l’envi. De quoi séduire les employeurs les plus chevronnés.

Par son travail constant et acharné, l’apprenti veut prouver son amour du piano. Les premières portes s’ouvrent. Le restaurant latino branché, Dos Caminos, puis la brasserie sélecte russe, Pushkin ainsi que la belle maison française, Ruhlmann ou encore le Blue Water Grill au cœur de Manhattan le font travailler. La tâche est rude, mais Luis enchante.

« Je suis quelqu’un de très patient »

Dans cette jungle à l’embauche où des dizaines de milliers de restaurants voient en permanence défiler du personnel, Luis cherche à tirer son épingle du jeu. Vif, endurant et appliqué, le jeune garçon veut faire son trou mais prend son temps. « J’aime le travail bien fait et je suis quelqu’un de très patient », lâche-t-il sans détour. La patience, vertu ô combien indispensable dans cet univers souvent rude et sans pitié où la compétition est sévère et les journées sans fin. Le cuisinier en herbe apprendra à s’en servir. Les conseils de Maria paient toujours.

Retenu parmi 125 candidats

Puis, un jour de 2010, c’est un fringant jeune homme de vingt-trois ans droit dans ses bottes qui pousse la porte du restaurant Cognac à Manhattan. A la manœuvre, Florian Hugo, jeune chef français descendant direct de l’illustre écrivain du même nom et ancien élève de Paul Bocuse et d’Alain Ducasse. Sacrées références.

Sous la gouverne de Vittorio Assaf et Fabio Granato, fondateurs du groupe Serafina, l’antre de la cuisine italienne à travers le monde, le chef français s’est pleinement investi dans l’ouverture en 2008 de cette brasserie haut-de-gamme aux accents parisiens. Affichant pavillon à Broadway, le quartier bouillonnant des théâtres, la place et son menu « so French » rencontrent vite le succès.

La toque tricolore se souvient d’une boule d’énergie prête à en découdre venue se présenter à lui. « J’avais retenu Luis parmi 125 candidats, relate le chef tricolore. Difficile à New York de se fier aux CV surtout quand vous recevez des gars pas toujours loyaux qui restent six mois avant de tenter d’aller faire le show à la télé. On met la personne au travail et après une semaine, on voit comment ça bouge. »

« Un garçon très motivé »

Tout juste embauché, Luis ne tarde pas, lui, à bien bouger et à faire ses preuves. Toujours sur le pont, le jeune cuisinier est nommé second, juste derrière une jeune femme, également latino qui devient première sous-chef du restaurant français. Deux distinctions et pas des moindres vu le haut niveau d’exigence du chef de Cognac. « Je me souviens d’un garçon très motivé qui avait un réel attrait pour la cuisine », commente Florian Hugo à propos de sa jeune recrue dont les origines mexicaines expliquent aussi, selon lui, son attrait pour le métier.

« Les Mexicains ont du palais »

« La cuisine mexicaine n’est pas seulement ce que l’on nous sert à New York. C’est une cuisine très sophistiquée, affirme le chef dont l’aïeul repose au Panthéon. Les Mexicains ont du palais et une très bonne pratique. C’est aussi pourquoi, ils sont si nombreux à travailler dans les restaurants aux Etats-Unis. Ils savent manier les produits qui sont nombreux et très diversifiés dans leur pays. »

Luis en sait quelque chose, lui qui remercie chaque jour celle qui lui a tout appris. Trop occupée, pensez-vous, à nourrir sa progéniture, Maria par son goût pour toutes sortes de mets ne pensait certainement pas devenir une rampe de lancement pour son tout dernier.

De New York,
Marie Le Blé

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Brasserie Cognac-West, 1740 Broadway,
New York, NY 10019. Tél. (212) 757-3600

Cognac-East, 963 Lexington Ave,
New York, NY 10021. Tél. (212) 249-5100

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