Revenant de Lens, et y ayant été ébloui, il m’apparaît assez pertinent de réfléchir sur le Louvre péninsulaire, ni rennais, ni breton, ni nantais d’ailleurs, qui n’existe pas ! Et dont il ne semble être nullement, politiquement ou économiquement, question !

Comme Zazie et son xiste pas, envisageons cette question de la question qui ne se pose pas !

Repérons les belles raisons du Louvre-Lens et celles qui, sur nos territoires océaniques, se jouent autrement, sans marqueur d’aussi belle envergure. Qu’est ce qu’est notre Louvre-Rennes ? Qu’en serait-il ?

Le Louvre-Lens

Soit un territoire, le Nord, germinalisé comme chacun le sait! Quel Breton s’en va du côté de Lille, des Cap Blanc ou Gris nez trouver quelque intérêt s’il n’y est poussé par une formation, un congrès, une école ou un cousinage poussant à quelque rituel. Qui va là-bas ?

Qui va vers ces bassins dévastés dont l’horizon ne soulève désormais que deux terrils, sauvés de peu, lesquels seront dans peu mis en lumière par Yann Kersalé. Preuve donc que quelque plasticien au renom international et formé aux Beaux Arts de Quimper rejoint le nord et pas que depuis que les Chtis (le film) l’ait survendu !

Louvre-Lens tient donc à n’en pas douter une de ses forces de sa transparence sur cet horizon proche triangulé par Képhren et Mykérinos, ici des numéros de fosses et les lignes de corons, habités bientôt par les guides du musée ou les employés des futurs hôtels 3 ou 5 étoiles en plein développement ! À Lens !

Ici les seules évocations étaient de Zola, les cimetières saturés de silicose, ici les tableaux sont de Rembrandt ou Goya et les chambres seront des suites, les parkings de cars et les visiteurs fashion ! Changement d’époque ! Reconversion ! Pari bilboesque !

Le président de région qui se nomme Percheron est un chevau-léger qui, de manière volontariste, à l’instar de la vallée basque du fleuve Nervion, décide  d’entrer dans le siècle par le haut. C’est-à-dire le quasi sacré, le spirituel dans une socialité de l’extrême appauvrissement symbolique et de la décléricalisation. M Percheron ne compte que sur sa subvention régionale et des aides de ses territoires emboîtés (départements, commune), il n’attend de l’Etat (1% seulement!) que la marque Louvre, et quelle marque ! Quand à Bilbao le conte s’est joué sur un nom et des comptes privés : Guggenheim.

Louvre-Lens est d’ores et déjà un succès.

Le Louvre, c’est depuis le 17èmeun phare national et une gestion hyper-académique de l’art. Billard à deux bandes réussi pour Louvre-Lens: se déconcentrer nationalement, et ce faisant, moderniser ses méthodes. Une seule galerie, et quelle nef, blanche et ouatée par l’alu, pour l’ensemble des temps et des secteurs : des milliers de visiteurs (120000 en 3 semaines !) se promènent entre Mésopotamie, écriture étrusque, romanité et Delacroix dans un seul enjambement. Le contraire du Louvre à Paris où chaque secteur est cloisonné, chaque domaine se regardant en coin et cylindrant ses collections. Louvre-Lens permet le coulissement spatio-temporel : pédagogie inédite et rien de moins que formidable au non initié.

Il faudra revenir au Louvre-Lens, les jardins seront une œuvre et voir à deux pas du parallélépipède dont l’alu renvoie les reflets mi terre mi ciel les corons alentour ne tient pas que d’un exotisme bobo !

Pourquoi donc là et pas ici ?

Lens est dévastée et contraint à l’audace. Oui. Le Nord est une friche et le Louvre s’est installé sur une fosse abandonnée depuis des décennies, transformée en zone artisanale flapie.

Lens est située aux confins de l’Europe du nord : aux descentes d’Eurostar ou de Thalis, aux confins d’une Europe énergisante, flamande ou wallonne, d’une Allemagne encore riche et d’une Ruhr d’ores et déjà reconvertie. Oui. Cette espace est stimulant, cœur d’une Europe riche en frontières. Les champs de bataille découpent encore le cadastre, la culture aide à dépasser les peurs tangibles et les remugles passéistes. Dans La galerie du temps, ça parle chti, mais aussi flamand, français, allemand et anglais ! Les cartels sont trilingues.

Par ailleurs dans cette région du Nord, la culture est un choix politique assurément : Lens est tout près de Lille qui fut et reste capitale européenne de la culture. Une synergie a lieu entre les lieux : la Piscine à Roubaix, le petit Cateau-Cambrésis de Matisse, l’immense musée de Villeneuve d’Ascq qui vient de s’adjoindre il y a peu l’aile unique en France de l’art brut. Oui.

Trois fois oui pour que ce pari réussisse d’autant qu’on doit y ajouter la présence de Beaubourg à Metz qui n’est pas si éloigné et, dans la même direction, Disneyland qui reçoit, en un an, 16 millions de visiteurs : le double du Louvre à Paris !

La culture en Bretagne. Premier constat : elle se passe de navire amiral.

La culture est versus le récent classement au patrimoine mondial de l’Unesco du fest-noz d’ordre immatériel. L’identité bretonne se passe d’un musée fracassant, d’un lieu retentissant : au lieu de cela, l’art dans les chapelles ! C’est-à-dire une dissémination !

Sans doute doit-on à la topo-analyse que la Bretagne a pour trésor, avant le Jubé de St Fiacre ou les escaliers monumentaux de Ste Barbe au Faouët, son pourtour vertigineux de falaises, de criques et de ports, tous marqueurs de culture et, en même temps, de nature ! Grandioses le cap Fréhel ou le Stiff à Ouessant : ce sont les fenêtres, le Golfe le jardin et le Mont St Michel la porte.

Nature et culture ici savamment construits et prouvant une manière d’être : retour à de l’immatériel !

Sans compter notre hyper-occidentalisation. La Bretagne, même désenclavée et higt tech, demeure lointaine et comment dire, finis-terrienne. Gauguin ou Hugo après La Fontaine l’ont vite vu !

Cette réalité d’excentration et de péninsularisation force notre région à penser la culture par l’irrigation territoriale, la démultiplication des structures, la répartition des subventions, bref le réticulaire et le festif. Bretagne, terre de festivals ! Carhaix continue avec ses Vieilles Charrues de creuser son sillon le plus profond et le plus couru des festivals estivaux.

Bretagne, terre de petites unités ! Des pépites de l’Abbaye de Daoulas ou de la belle Cohue vannetaise, des musées de Quimper ou Brest au Frac tout neuf de Rennes ou des événements incroyables de Nantes, folles journées ou Estuaire, de l’Art-Rock briochin ou du Festival Interceltique de Lorient, le FIL drainant durant des semaines tellement de bons moments comme, dans un tout autre esprit, les Trans rennaises, ce labo indéniable de trouvailles et de travail attendu  par l’Europe!

Doit-on opposer ces deux logiques uniquement par la géographie? Doit-on opposer le péninsulaire au carrefour ? L’un entraînant une ventilation et l’autre une concentration ?

Doit-on politiser la question ? Entre une Bretagne refusant tout hégémonisme, lequel serait matérialisé par l’effet de structure ? On entend toujours cette plainte renno-rennaise autour des Champs Libres qui pomperaient tout sinon beaucoup : inimaginable donc un gros outil phare et drainant ses foules ?

Doit-on extrémiser le modèle du Nord avec des outils de prestige qui se voient et absorbent beaucoup des investissements –mais rapportent en image et en fréquentation à notre modèle breton qui démultiplie, saupoudre, répartit, ajuste et assure une plus discrète couverture territoriale : pas une petite ville de l’archipel rennais qui ne soit doté d’un bel outil culturel, d’une salle récente, d’une scène ou d’initiative culturelle locale. Nommons la seconde et très réussie édition du Festival d’animation à Bruz. Nommons le nombre extraordinaire de médiathèques magnifiques qui caractérisent la métropole et ont précédé l’acmé des fameux Champs Libres.

La Bretagne, et Rennes métropole singulièrement, jouent à fond la carte locale en attendant que ce local mature, s’élance ou meurt et s’il vient à réussir, à passer le mur du son alors, et alors seulement, le politique s’en empare et l’institue, le nourrissant après coup de ce que le national autant que le local a contribué à reconnaître.

En Bretagne aussi, n’omettons pas de repérer la place laissée aux initiatives privées comme la Biennale d’art contemporain rennaise ou l’expérience de Françoise Livinec au Huelgoat avec son école des filles offrant, dans l’espace intérieur breton, chaque été, un renouvellement des formes et des liens sociaux.

Louvre-Breizh est donc loin d’être porté ! Pas prêt d’être conçu ou questionné ! Pour toutes ces raisons et sans doute d’autres : liées à cette méfiance à l’égard de ce qui pourrait venir de… Paris ! Sans doute aussi est-ce notre situation économique moins tendue qu’ailleurs qui joue et sûrement une sécurité identitaire, une culture propre installée qui n’a donc pas besoin d’être instituée.

La Bretagne est assez chargée de symbolique pour qu’aucune couche de plus ne soit nécessitée.

Prenons le temps de questionner ce Louvre qui n’existe pas, ce Guggenheim qu’on n’a pas, cette absence d’un lieu fort, puissant, drainant des foules qui vont lui, vers le sacré, vers l’abstraction dans un besoin de partage et de quête de beauté. Et pour y revenir, à l’art dans les Chapelles : cette belle initiative n’est-elle pas à lire au plan plus symptomatique que symbolique ? À savoir que la culture bretonne reste saturée de foi, ou de ses reliquats, et qu’il n’y a pas, ici, à recourir aux artistes, toujours iconoclastes, pour venir en lieu et place des fétiches locaux, toujours efficients ?

Au Louvre-Lens, 55% des gens sont des locaux ! Mettant pour certains d’entre eux la première fois les pieds dans un musée, fiers que ces œuvres incroyables soient chez eux : « tu te rends compte, il y a la Liberté de Delacroix », le père insistait pour que ses enfants  prennent conscience de ce choix que le Louvre avait fait de mettre ce tableau, gratuitement, sous leurs yeux et il le répétait: « Ils ont mis çà chez nous, est-ce que tu te rends compte ? »

Louvre Lens

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