Jean-François Ménard voit ce que tous voient, les talus ou les brandes, les landes ou le ciel mais à la différence de tous, il les fait parler, les nomme, entame avec eux, chaque heure, chaque jour, une conversation. Ménard ou la conversation des pierres ! Pas seulement « l’énigme des menhirs », aussi les caillasses sous la chaussure.

Il est un poète des lointains de chez nous. Il nous avait plutôt conduits, jusqu’ici, vers Haïti, ses mondes à l’envers, sa misère qui brûle aux plantes des pieds, râpe les yeux et révolte évidemment. Le voici, à nouveau, poète engagé des rives proches, de nos regards partagés, des rivières qu’on suit, des halages où l’on marche, des sentes où sentent l’aubépine, les rires d’oiseaux surtout et le sacre immense des aurores et des éternités.

Précisément là, entre aurore et éternité que le poème de Ménard s’élève : « nous n’aurons rien su de la suite de l’histoire » dont il énonce les prémices. Ménard est notre Virgile breton. Enchanté du « vent-cornemuse » et de tous les oiseaux qui parlent.

Il en connaît un rayon, sa liste ornithologique est incroyable : loriot, cormorans, alouettes, merle évidemment, mais aussi chouette, sternes, grive bien sûr. Des oiseaux à foisons qui foisonnent dans des noms à découvrir qui sont en soi des poèmes et pourtant, le poète, un martin-prêcheur, les rencontre, leur parle, sûr qu’ils se répondent, entre oiseaux sillonnant les glèbes, élevant le ciel, touchant dieu.

Ménard parle à cette hauteur. Discret témoin de ce qui dure, de ce qui est sa vie, on ne doute pas de cela, son quotidien dans « la véranda bleue », loin des mégalopoles à favelas ou des bidonvilles de périphérique, Ménard, c’est heureux, témoigne qu’il y a cela, ce monde, le nôtre, un peu plus à l’endroit. À l’endroit du monde, je veux dire !

Métrique classique, alexandrins vifs en ritournelle oiselle, je pardonne tout à qui écrit aujourd’hui le mot « andain » ! À qui parle aux nuées « les dimanches après-midi d’ennui ».

Les poèmes de Jean-François Ménard sont à lire le soir pour endormir les enfants, et le matin pour apprécier l’aube, inventer le jour, continuer de boire, et croire dans « le vent des ivrognes qui en appellent à Dieu plutôt qu’à ses saints » ! Une preuve de plus, par la littérature, le chant, par le barde, que Bretagne, ici, tout à côté, est monde et un monde à boire cul sec!

« N’être pas malheureux de la suite des saisons », dit-il. Plutôt il l‘écrit, dans cent-trente-cinq poèmes simples, des chants d’éternité à travers champs et prairies, prés et halliers. Il y a donc, c’est plus que certain, cette permanence des mots, il y a cette vie dont Jean-François Ménard témoigne. Elle pourrait avoir eu lieu au temps de Virgile et de ses Bucoliques ou de la Symphonie pastorale de Gide. Au fond, constatons-le que du point de vue des « prés à lune » ou « sur une haie de ronce à mures » rien au final ne change sauf un bruit de fond qui est faux et dont on se fout. Lui, Ménard, est dans le vrai, poète des « palis bleus » et « d’heureuse nostalgie ».

Où je m’oppose à lui, c’est sur ce dernier mot !

Oui cher poète, c’était donc mieux avant puisque c’est mieux maintenant.

Maintenant que nous sommes encore, je me pince en écrivant, vivants !

Gilles CERVERA
Jean-François Ménard, Prés à lune et autres lieux, éd L’Harmattan, 17 €

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