C’était en 1970. Trois ans avant la construction de la tour Montparnasse. L’architecte Georges Maillols débutait à Rennes les travaux du premier IGH - Immeuble de Grande Hauteur - français. Son non : Les Horizons. Très vite, le bâtiment s’imposa comme l’un des symboles majeurs de la ville.

Tout commence à la fin des années 50. Le pays breton manque de logements modernes et fonctionnels pour satisfaire la demande croissante du babyboum. Dans les grandes villes, Nantes, Brest, Rennes, les îlots insalubres aux abords des centres historiques sont rasés au bénéfice de projets architecturaux contemporains. À Rennes plus qu’ailleurs, la population ne cesse d’augmenter. 74.000 habitants au début du siècle… 90.000 avant la guerre… 180.000 en 1967, dont 35% ont moins de 30 ans… Dans ce contexte de glorieuse croissance, l’ancien faubourg de la rue de Brest est sujet à un programme de constructions pour des logements privés et sociaux. Il donnera naissance au quartier Bourg-Lévêque d’où s’élèvera bientôt la tour des Horizons.

Des tours jumelles monozygotes

Comme les Twins Towers new-yorkaises, Les Horizons sont composés d’un double édifice (d’où le pluriel du nom – Horizon I culmine à 96 mètres, et Horizon II à 95 m.) mais, à l’inverse des deux blocs indépendants que furent les Twins, le bâtiments rennais est réuni en son milieu par une rangée de balcons-terrasses, donnant ainsi l’étrange illusion d’une architecture gémellaire monozygote. Cette prouesse technique autant que plastique est due à Georges Maillols, bâtisseur parisien et grand admirateur de Le Corbusier, qui reprit la cabinet d’architectes Couäsnon en 1947. Il sera impliqué dans 140 projets rennais entre 1950 et 1996. Au total, ce sont près de 10.000 logements dont Maillols imposera l’allure souvent insolite d’une modernité austère et lumineuse. Bien que marqué par un style très 70’s, l’essentiel de ses constructions n’a pris aucune ride et est aujourd’hui recherché par les investisseurs. Certaines voix se sont même faites entendre pour solliciter le classement aux monuments historiques des Horizons et de la Barre Saint-Just.

Georges Maillols défie les modes et le temps

Dès les années 50, Georges Maillols entreprend des constructions verticales. La tour Maillols du quai Richemont, face à la Vilaine, voit le jour en 1954. Ses onze étages furent longtemps le plus haut édifice de la ville et, peu habitués à une telle hauteur, certains voisins craignaient à l’époque de le voir s’écrouler. À la fin des années 60, l’étude Maillols signe les plans de la Barre Saint-Just, l’un des plus emblématiques immeubles d’habitation de la capitale bretonne. Pyramide futuriste dotée de quatre ailles asymétriques, le bâtiment se démarque en outre par ses exceptionnelles jardins-terrasses. Une révolution qui aura réussi à défier les modes et le temps, au point qu’un demi-siècle plus tard, la très chic Barre Saint-Just et ses jardins suspendus n’ont toujours pas d’équivalant dans un centre-ville breton. L’inauguration du bâtiment eut lieu en 1969, un an avant celle des Horizons.

Des formes nouvelles à budget contraint

«  Il vaut mieux trancher et marquer l’époque, que de mal s’intégrer au centre ancien », déclare Maillols en soumettant le projet des Horizons aux élus commanditaires. Ses intentions annoncent 60 étages pour 1000 logements qui vont du studio au 5 pièces. On lui accordera 30 étages pour 480 appartements de type 2. Qu’importe ! Même à taille réduite, Les Horizons seront le premier gratte-ciel habité de France, et le plus haut de Bretagne. Sa construction fut rapide. Un étage par semaine, soit environ une année pour l’ensemble, durant laquelle, hélas ! trois malheureux ouvriers perdirent la vie. Les Rennais suivirent l’avancée des travaux avec un étonnement émerveillé. Observable de tous les alentours, l’immense grue girafe de 120 mètres sise au centre du chantier était à elle seule un exploit technique.

La structure extérieure du bâtiment est composée de quatorze poteaux de soutènement renforcés par des murs de refend et des poutres semi-circulaires. Les ingénieurs durent innover pour faire face à moult impératifs techniques devant répondre aux dessins des architectes. Plusieurs mois de recherches en amont des travaux furent indispensables avant de satisfaire aux contours exacts des panneaux de façade, tous constitués d’éléments préfabriqués en béton mêlé de quartz concassé et de dioxyde de titane afin d’obtenir la blancheur exigée par Maillols. Une unité extérieure sera nécessaire à l’habillage de chaque appartement ; en tout, 720 pièces conçues par une entreprise rennaise chargée d’inventer des formes nouvelles à budget contraint.

De Milan Kundera à Franck Darcel

La fin des travaux en 1970 laisse observer 35 niveaux (rez-de-chaussée compris), dont 30 habitables et 5 techniques : 3 au pied et 2 sur le toit de l’immeuble où l’on trouve le mécanisme des ascenseurs, la chaufferie et la réserve incendie. Les étages de vie comptent 480 appartements prévus accueillir des jeunes couples ou des étudiants pour un total d’environ 1000 personnes. Et, à la base des tours, ce sont 440 places de parking semi-enterrés. Initialement, le cabinet Maillols envisageait la création d’un restaurant panoramique sur le toit-terrasse mais, faute de budget, le projet restera sans suite. Une fois encore. Qu’importe ! Car Georges Maillols a su investir l’esprit des 70’s dans une science du beau transgénérationelle. Véritable sculpture contemporaine, les Horizons sont encore aujourd’hui le plus haut bâtiment de Rennes ; d’où que l’on puisse l’observer, l’onirique et le beau apparaissent. Un gigantisme à taille humaine qui met en valeur les constructions voisines : l’Armor, la Caravelle, le Trimaran, le Belvédère, les Cristaux… toutes signées Maillols. Les Horizons sont la pièce nécessaire au quartier. On les enlève et l’équilibre esthétique s’écroule.

Avec les Horizons, Georges Maillols a réinventé Rennes, lui offrant un double coiffe bigoudène comme un merveilleux sceau identitaire. En cinquante ans, l’immeuble est devenu une incontournable référence culturelle locale. On le retrouve entre autres dans le film de Riad Sattouf, Les Beaux Gosses, dont certaines scènes furent tournées aux abords de la tour. De 1975 à 1979, l’écrivain Milan Kundera résida au trentième étage alors qu’il enseignait la littérature à l’université Rennes 2. Et, plus anecdotique, Franck Darcel a choisi Les Horizons pour couverture de son nouveau roman, Vilaine Blessure.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© 2019 – Bretagne Actuelle & Jérôme Enez-Vriad

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