Doit-on s’interroger sur la volonté de l’État français à maintenir le secteur de la pêche bretonne dynamique ? Il semble que oui. Depuis quelques années, la politique du « moins coûteux » est devenue la règle sous la forme d’une aquaculture marine de piètre qualité vendue en grandes surfaces. Quid de l’avenir des pêcheurs bretons dans leur propres eaux ?

Gérer la pêche est avant tout régir le partage des ressources dont elle dépend. Pour bien comprendre, il est impératif de poser le décor. L’Union Européenne est le cinquième producteur mondial de pêche et d’aquaculture. Sa politique halieutique repose sur la mise en commun de Zones Économiques Exclusives : les fameuses ZEE, sujettes à la convention de Montego Bay sur « le droit de la mer » signée en 1982.  La ZEE de chaque pays s’étant jusqu’à 200 milles marins (Environ 370 km) à partir des côtes, au-delà il s’agit des eaux internationales ; ne pas confondre cette limite avec les eaux territoriales représentant un espace d’une largeur maximale de 12 milles (22 km environ) au sein duquel l’État exerce sa souveraineté. Les eaux territoriales de chaque pays sont donc une partie empirique inaliénable à l’intérieure des ZEE. Ce sont ces dernières, les Zones Économiques Exclusives britanniques, que les pêcheurs anglais souhaitent récupérer pour une exploitation exclusive.

La pêche est l’un des secteurs les plus impactés par le Brexit

Aujourd’hui, les pays de l’UE tirent en moyenne un poisson sur trois des eaux britanniques. La France est donc dépendante à environ 30% des autorisations de Londres, et le pourcentage monte à 50% s’agissant de la Bretagne qui, en outre, représente environ la moitié du chalutage français  (si l’on intègre la Loire-Atlantique, choix hélas ! trop rare dans les statistiques) ; cela signifie que 50% des immatriculations des bateaux de pêche français sont bretons. La région a connu une expansion extraordinaire jusque dans les années 70, lorsque nos pêcheurs jetaient encore leurs filets dans les eaux brésiliennes et celles du Pacifique. Mais, depuis Montego Bay, la France et surtout la Bretagne se sont repliées vers les zones halieutiques européennes. Le Brexit et les revendications britanniques risque fort d’accentuer ce repli. De fait, les conséquences halieutiques de la rupture entre Londres et Bruxelles sont scrutées de près par tous les pêcheurs, qu’ils soient Bretons, Français ou Anglais ; nonobstant une inquiétude européenne, puisque de Concarneau à Rostock (Allemagne), en passant par Zeebrugge (Belgique), Gdansk (Pologne), ou encore Galway (Irlande), les professionnels de la pêche craignent de ne plus pouvoir accéder aux eaux poissonneuses britanniques.

L’Union Européenne vassalise ses pays membres

Selon les lois européennes, un poisson ne peut être prélevé que par des bateaux ayant un droit de pêche spécifique sur cette espèce, à condition qu’ils soient équipés de dispositifs sélectifs – en particulier relatif au maillage des filets ; ce qui revient à dire que Bruxelles décide de ce que font les pêcheurs espagnols et anglais dans les eaux bretonnes (et inversement) mais que les Bretons eux-mêmes sont soumis à ces impératifs dans leurs propres eaux. Logique similaire pour les pêcheurs britanniques qui ont voté à 92% en faveur du Brexit afin de protester contre les lois de Bruxelles qu’ils jugent « obsolètes » et « injustes ». En conséquence, depuis sa sortie de l’Union Européenne, Londres souhaite recouvrer sa souveraineté halieutique. Le gouvernement semi-indépendant de Guernesey est d’ailleurs le premier à avoir (ré)agi en interdisant l’accès à ses zones de pêche temporairement suspendues. Depuis le 1er février 2020, les « douze milles » autour de Guernesey, Sercq et Aurigny, sont interdits en attendant l’octroi d’autorisations individuelles ; suspension valable aussi pour les pêcheur français, bien que les îles anglo-normandes soient plus proches des côtes bretonnes que des falaises du Devon.

Une fois encore, pour bien comprendre, notons ceci. Le Royaume-Uni est dépendant du marché halieutique européen puisque les Britanniques exportent environ 70 % de leur pêche vers le reste de l’Union Européenne, parmi lesquels environ 35 % sont destinés à la France, premier de leurs clients pour 500 millions d’euros annuels. En outre, près de 40% des poissons pêchés en Europe le sont dans les eaux britanniques par leurs voisins, alors que la flotte anglaise s’aventure peu dans les ZEE étrangères. L’accès aux eaux britanniques est par-là même devenu plus important pour les pêcheurs de l’UE, y compris bretons, que les ZEE communautaires ne le sont pour les Britanniques. Plutôt que de préserver chaque pays de l’invasion d’une pêche étrangère, Bruxelles a mutualisé les ressources en autorisant l’Europe entière à jeter ses filets partout. Résultat. Plus personne n’est maître chez soi.

Une mondialisation inique soutenues par des ONG douteuses

L’Europe fait le jeu d’une mondialisation inique qui oblige les Bretons à retrouver sur leurs étals du poisson vietnamien plutôt que celui de la Manche. Cette ineptie est soutenue par des ONG très influentes, elles sont souvent d’origine anglo-saxonnes – citons le World Wide Fund for Nature (WWF), The Nature Conservancy (TNC) et l’Environmental Defense Fund (EDF) – ; ces organismes médiatiques et pro-mondialistes, disposent de budgets colossaux provenant de fondations sponsorisées par des magnats américains ; les études de lobbying qui en ressortent s’appuient sur des « scientifiques » partiaux accusant de corruption tous ceux en désaccord avec eux. Certaines ONG imposent également des labels afin de réglementer les marchés. Prenons l’exemple de la WWF et de son label Marine Stewardship Council (MSC), faisant alliance avec Carrefour depuis 2020. Ce sont désormais 50 % des poissons vendus par l’enseigne qui arborent le label MSC d’une pêche durable, n’interdisant toutefois pas que la marchandise vienne de très loin.

Le contrôle des eaux bretonnes doit revenir à la Bretagne

Que réclament les pêcheurs bretons ? A peu près la même chose que les britanniques. C’est à dire le retour à une logique de pêche séculaire que l’Union Européenne a savamment déconstruite dans le seul but de centraliser à Bruxelles ce qui relève de l’existence d’un peuple de pêcheurs vivant entre St. Nazaire et St. Malo (Juste préciser que les décisions actuelles sont prises par des ronds-de-cuir non-élus – on les appelle « commissaire » – donc illégitimes, qui trop souvent ne connaissent rien à la mer.) La flotte bretonne doit être favorisée dans les eaux bretonnes, et la pêche locale soutenue par un label indépendant qui attestera que le poisson vendu a été sorti des eaux bretonnes par un bateau immatriculé en Bretagne, selon des normes environnementales et animales respectables qui ne seront décidées ni à Bruxelles, et moins encore dans les bureaux du siège international – à Gland, en Suisse (tiens !) –  du WWF. Le contrôle des eaux bretonnes doit impérativement revenir à la Bretagne sans passer par la case « Paris » puisque, de fait, la France nous a vendu à une mondialisation dont les Britanniques se sont dédouanés pour le meilleur de leur avenir halieutique redevenu souverain.

Jérôme ENEZ-VRIAD
© Juin 2020 – J.E.-V. & Bretagne Actuelle

Parmi les sources :
WWF
Carrefour
European Fisheries Alliance
Ministère de l’agriculture et de l’alimentation
Fond européen pour l’agriculture et la pêche
Comité National des Pêches Maritimes et des Élevages Marins – CNPMEM

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