Après ses deux derniers albums Toute Latitude et La Fragilité, sortis en 2018, Dominique A semblait vouloir un peu disparaître, prendre du temps pour réfléchir à la suite, à une autre façon de diffuser ses chansons, à une création qui lui soit nécessaire. Mais la vie en a décidé autrement.

La mort de Philippe Pascal, chanteur des mythiques Marquis de Sade puis Marc Seberg, modèle du chanteur nantais, puis le coronavirus et son confinement l’ont amené à une année 2020 très prolifique : après la parution du livre d’entretiens biographiques Dominique A, Solide, il reprend L’éclaircie, du groupe de Philippe Pascal, Marc Seberg, dont l’accueil l’emmène vers la sortie cet été de l’EP Le silence ou tout comme dont les 4 titres intègrent l’album Vie étrange qui est sorti ce 6 novembre. Soit un mois après le livre Fleurs plantées par Philippe, dans lequel Dominique A raconte ses liens avec Philipe Pascal, imbriquant leurs parcours. Ecrit comme une nécessité, le texte, court, simple, émouvant, est aussi très honnête comme une volonté de transparence. Dominique A y rend hommage à l’artiste et à l’homme qu’était Philippe Pascal tout en éclairant son propre parcours, évoquant sa jeunesse et, ses obsessions, le temps passé, les traces.

Comme un complément, son album Vie étrange nous plonge dans des chansons atmosphériques. Dominique A paraît y décliner, lentement, des exemples de confinements, des huis-clos, des solitudes assemblées, comme il égrènerait des mélancolies intemporelles. Et paradoxalement, Vie étrange, intégralement enregistré et mixé « à la maison » par son seul auteur, album de la digression, pas-de-côté dans la discographie de son créateur, nous console et nous envoûte encore.

Tu m’avais dit que tu faisais une pause, que tu prenais du recul pour réfléchir à une autre façon de diffuser tes œuvres, pour créer quelque chose qui te soit nécessaire. Mais… Une reprise que tu diffuses, un EP, un livre, un album… On peut dire que ce sont des œuvres du confinement ? Nées de la crise sanitaire ?
Oui, si j’ai un seul responsable à nommer pour ce regain d’activité et ce reniement de ma propre parole, c’est bien le virus. Pour être honnête, le livre sur Philippe Pascal était en grande partie écrit avant le premier confinement (on en est là, écrire ce genre de choses, le « premier confinement »…), mais je l’ai repris « à la faveur » de cette période de claustration obligatoire. Et les premières chansons sont apparues à cette même période, ce qui a donné le EP Le silence ou tout comme, repris sur l’album, et « complété » par 5 autres titres nés durant le déconfinement. en fait, c’est encore Philippe Pascal qui a fait le lien, puisque je me suis remis, par ennui, par dépit, à enregistrer chez moi une reprise de Marc Seberg, L’éclaircie, diffusée sur le net comme un petit signe donné à celles et ceux qui me suivent, et dont l’écho très favorable m’a donné envie de continuer dans cette voie solitaire, qui n’était pas à l’ordre du jour, puisque le dernier disque et la dernière tournée achevée un an plus tôt était déjà de cette nature, et aurait dû m’interdire de continuer sur cette lancée.

Tu dis que cette reprise de L’éclaircie s’est imposée à toi. Veux-tu dire que presque inconsciemment le contexte de confinement t’a amené vers cette chanson évoquant entre autres la patience ? Elle n’est pas la chanson que tu préfères de Marc Seberg je crois ?
Non, sur le même album, je préfère Les ailes de verre, qui clôt Le chant des terres. En même temps, c’est cette chanson qui, adolescent, m’a fait accrocher au groupe. Et de par son propos, inconsciemment, j’ai senti qu’elle pouvait m’épauler pour faire passer la pilule du confinement, si j’ose dire, et par extension, peut-être en épauler d’autres.

Tu m’avais indiqué lors de l’enregistrement de cette reprise seul chez toi à quel point cela avait été léger en termes de structures, d’équipement, facile, alors que tu avais été étonné de son accueil. On peut dire finalement que ce confinement t’a permis de tester en quelque sorte cette nouvelle façon de produire et diffuser tes œuvres ?
En fait, j’ai déjà enregistré seul plusieurs albums dans le même contexte domestique, mais jamais, même sur mon premier disque, je n’avais aussi réalisé le mixage dans son intégralité. J’ai vraiment fait ça avec les moyens du bord, mon 8 pistes numériques, mais il faut croire que je me suis aguerri en la matière puisque des potes musiciens m’ont demandé dans quel studio j’avais enregistré… C’était vraiment pousser la logique du « do it yourself » à son terme, avant de passer à ce qui était initialement prévu, un disque « en bande ».

Tu prépares la parution de Fleurs plantées par Philippe pendant l’enregistrement de l’EP. L’un a nourri l’autre ?
J’ai laissé reposer le texte, pour avoir du recul dessus et le redécouvrir, pour voir s’il avait un intérêt autre que celui de me « décharger « des émotions liées à la mort de Philippe Pascal. J’ai été surpris par sa cohérence à la relecture, l’ai retravaillé et soumis à Mediapop, un éditeur de Strasbourg dont j’aime la production et la ligne éditoriale. L’éditeur m’a répondu dans la journée pour me dire qu’il voulait le publier. Ensuite, je l’ai peaufiné, jusque fin aout. Mais c’est sûr que c’est le lien avec ce que j’ai enregistré par la suite, puisque la reprise, qui devait être juste un signe donné, a impulsé l’écriture d’autres chansons, dans un processus d’une grande simplicité qui m’a libéré des enjeux trop grands que je mettais sur la perspective d’un futur enregistrement, une barre placée un peu trop haut et qui commençait à me bloquer créativement.

Tu évoques, au sujet de la naissance de ce livre, une sidération. Parce que tu étais en contact avec lui juste avant sa mort (le 12 septembre 2019, alors que le groupe Marquis de Sade préparait un 3ème album 38 ans après Rue de Siam) ? Parce qu’il semblait en pleine activité, voire de renaissance ?
Oui, parce que depuis quelques jours, la participation d’une collaboration pour l’écriture des textes du troisième Marquis de Sade était évoquée, j’étais en quelque sorte impliqué dans une histoire qui s’écrivait. L’annonce de sa mort n’en a été que plus brutale, totalement inattendue et donc sidérante. Mais je crois que justement un des déclencheurs était l’angoisse que la suite générait chez lui sur le plan créatif. Il se sentait bloqué, ce a qui vraisemblablement réveillé chez lui un mal être plus général, pas uniquement lié à la création.

Le texte est court, simple et très honnête. Tu voulais lui rendre hommage, on le lit, mais on a aussi le sentiment que tu écris un texte qui t’est nécessaire. C’est le cas ?
Oui, je l’ai écrit comme on se purge, sans préjuger d’une quelconque publication au départ. C’est en le relisant quelques mois plus tard que j’ai eu envie de le divulguer. C’est sans doute le texte qui me tient le plus à cœur avec Y revenir, mon premier « vrai » texte, c’est tout autant un texte sur Philippe Pascal que sur le rapport au temps, et à la jeunesse.

« Un goût pour la poésie qui ne craint pas la grandiloquence »

Que représentait Philippe Pascal pour toi ? Un guide ? Une voix toujours présente, notamment dans Rennes, comme tu l’écris ?
Un modèle, et l’incarnation d’une mélancolie inscrite dans les pierres de la ville.

Tu le découvres avec Marc Seberg. Qu’est-ce que ce groupe apportait en France quand on était fan de Joy Division et des Cure ?
Une retranscription en français et en temps réel de cette new wave anglaise qui nous faisait rêver, et qui, en quelque sorte, se faisait le vecteur d’émotions et d’un romantisme très adolescents.

Marquis de Sade semble inclassable. Tu découvres le groupe après Marc Seberg. Marquis de Sade a été moins important pour toi ?
Je ne dirais pas qu’il est inclassable. Il est inscrit en plein dans l’époque du post punk anglais et américain. Il est en tout cas sans équivalent en France. Je l’ai découvert « après coup », après sa dissolution, et c’est vrai que l’aspect mélodique et synthétique développé dans Marc Seberg à l’époque du Chant des terres correspondait plus à mon tempérament.

Philippe Pascal m’avait parlé de tout ce qui l’avait nourri, de ce qui composait l’ensemble de ses influences, notamment françaises, européennes. Brel comptait beaucoup pour lui. Les atmosphères des lieux où il avait vécu aussi, qu’il m’a décrites. Il faisait la jonction entre le monde musical anglosaxon et la chanson française… Vous avez beaucoup de points communs en somme. On sait -et tu le racontes- qu’il aimait tes chansons. Tu as le sentiment d’être un héritier de Philippe Pascal ?
C’est un peu délicat de s’introniser soi-même « héritier de ». Mais c’est vrai que j’aime à penser que nous avions une sensibilité commune, un goût pour une poésie qui ne craint pas la grandiloquence.

Penses-tu encore que Daho et Philippe Pascal sont les deux voix du Grand Rennes des années 70 et 80 ?
Oui, bien sûr, ce sont les marqueurs vocaux les plus évidents de la scène rennaise dans son ensemble, pas seulement des années 80.

Avec ton EP Le Silence ou tout comme, on pense encore à une double signification : la période de confinement et les disparus, notamment Christophe (mort le 16 avril 2020) auquel tu rends hommage. Tu as repris sa chanson Chiqué Chiqué au début de ta carrière. Christophe a été important dans ton parcours ?
Pas tant que ça en fait, j’aime beaucoup certaines de ses chansons. Les mots bleus est incontestablement une des 20 plus grandes chansons françaises, mais je ne suis pas en pâmoison devant toute l’œuvre. La chanson dont tu parles, Vie étrange, et dont le texte repose sur deux phrases, me semble à la fois transcrire une forme d’incrédulité face à la période en même temps qu’un hommage indirect à Christophe, via une référence aux Mots bleus, victime de ce à quoi même nous étions, et restons, confrontés : la pandémie. Le jour où il est mort, j’ai ressenti comme beaucoup de gens une grande tristesse, et j’ai voulu la retranscrire en musique, et j’avais uniquement ces deux phrases en tête « Quelle vie étrange / Plus de mots bleus, no more » : en tournant autour pour leur donner une suite, je me suis dit que ça suffisait, que je ne pourrais finalement rien ajouter.

Cet EP change tes habitudes. Électro, très intérieur, rentré, parfois murmuré… Tu dis que tu as écris sur la musique à l’inverse de ce que tu fais d’habitude. Tu évoques des improvisations sur la musique. Tu as voulu ces changements de méthodes et de styles ? Ou la période les as mis en place naturellement ?
Ça s’est fait naturellement. Ça me permettait de rompre avec l’aspect très écrit des chansons sur lesquelles je travaillais peu de temps auparavant. Je retrouvais une forme de légèreté, une absence d’enjeu, et un plaisir du jeu très simple, reposant sur le fait de passer une boite à rythme et un synthé dans une batterie de pédales d’effets.

Comment as-tu créé Papiers froissés ? La chanson a un lien avec le confinement ?
Oui, parce que j’ai écrit le texte après avoir relu une bande dessinée du même titre. Pour le reste, j’ai déroulé une suite d’accords très simple, et j’ai « déposé » le texte dessus, ce qui a fourni une sorte de matrice pour les morceaux apparus ensuite.

Vie étrange est la continuité directe du EP. Tu as voulu que ça se poursuive ?
Mes vieux démons m’ont repris ; j’ai vu qu’un disque pouvait se profiler, et j’ai juste légèrement tiré sur la corde.
Tout ça a été très évolutif, il est simplement apparu en cours de route que j’allais avoir la matière pour un disque, qui ne serait pas tant celui d’un retour anticipé, que d’une sorte de pas de côté discographique. Et quand autour de soi les gens réagissent mieux à ce qu’on fait que ce qu’on attendait, comment et pourquoi se brider ?

Tu évoques « un pas de côté » avec cet album. C’est-à-dire que tu le relies complètement à cette année 2020 ? Une digression dans ta discographie ?
Oui, en quelque sorte, une digression. J’ai du mal à le considérer pleinement comme un album, du fait que tout a été très simple dans la conception, et finalement détaché de l’idée même d’une conception d’album. Comme si les choses m’échappaient en le faisant. Mais peut-être qu’il faudrait que je sois plus honnête avec moi-même et le présenter franchement comme ce qu’il est : un 10 titres de 35 mn, donc possiblement un nouvel album.

Finalement, tu es heureux de cette activité alors que tu pensais te mettre en retrait ? Tu as besoin de cette activité permanente ?
Je crois que l’inactivité pour recharger ses batteries, la mise en retrait volontaire, c’est pas mon truc ! J’ai essayé, je n’en ai retiré que de l’ennui et un sentiment de vide. Je crois que ce qui m’excite le plus en fait dans cette histoire, c’est de balancer ce disque dans la nature, et puis basta : pas de concerts, pas des mois de promotion… ça casse une forme de routine qui, même plaisante, n’en est pas moins une.

Avec ce nouveau confinement, tu évoques un « déni total (de la culture) qui est révoltant ». Au-delà de la fermeture des librairies, tu penses que les lieux de culture, de spectacle, les cinémas devraient rester ouverts, aussi pour soutenir la population ?
Je pense simplement qu’il est plus dangereux de prendre un transport en commun bondé que de se rendre dans une salle de spectacle ou de cinéma où tous les protocoles sont respectés à la lettre, et où aucun foyer épidémique n’a été relevé. Il n’y a pas d’égards de ce gouvernement pour l’art et la culture en général. Aucune vision et aucune compréhension de ce que cela apporte dans nos vies.

Dans ce climat anxiogène, tu indiquais il y a quelques semaines que tu n’avais pas envie de monter sur scène. N’est-ce pas aussi un geste de réconfort pour le public ?
J’ai un peu changé de point de vue en participant récemment à un festival de poésie avec mon ami écrivain Dominique Fabre ; j’ai retrouvé avec plaisir la scène, les coulisses, les échanges avec des camarades de jeu et le public. Je me suis rendu compte que ça me manquait, toute cette ambiance, tout simplement, que ça me faisait beaucoup de bien, que ça me soulageait même d’un poids.

Si on ne sait de quoi l’année 2021 sera faite, je crois que tu sais déjà que tu ne donneras pas de concert. Tu prévois de commencer à enregistrer ton prochain album ? Que tu prévois toujours pour 2022 ?
Oui, j’ai arrêté les dates de studio, dont la première session est prévue fin mars, en espérant que… En fait, sans échéance, je n’arrive pas à fonctionner ; là, je vais devoir « m’y remettre », et j’en suis ravi. Je ne sais toujours pas où je vais, c’est un peu déstabilisant, mais c’est tout l’enjeu de la chose : trouver en bonne compagnie une voie, un son à creuser, et dont je n’ai encore, comme un an plus tôt, qu’une vague idée, parce qu’il découlera d’un travail en commun.

Propos recueillis par GRÉGOIRE LAVILLE

Vie étrange, cinq7 / Wagram
Fleurs plantées par Philippe, éditions Médiapop
Dominique A, Solide, éditions Locus Solus

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