Les certitudes de Calixthe Beyala ne sont pas celles d’une vocation légère ou prétentieuse. Son succès populaire régulièrement entaché par le fiel d’habiles détracteurs, atteste que le mépris et l’opprobre relèvent souvent d’une éclatante récompense digne des plus merveilleux honneurs. A l’occasion de la sortie de son nouveau livre, Bretagne Actuelle tenait à rencontrer celle pour qui les bretons sont les plus africains des hexagonaux.

Jérôme Enez-Vriad : Le christ selon l’Afrique redéfinit la notion éculée d’une Afrique monothéiste.
Calixthe Beyala : Oui, car le Christ vu par les africains n’est pas le même que celui évangélisé par les occidentaux, d’où le titre.

Le réceptacle de votre réflexion est Boréale, une jeune femme libre avec sa propre idée de la morale et de la foi.
C.B. : Je travaille depuis toujours sur les similitudes africaines. Morale, culture, philosophie ou religion, il existe un tronc commun existentiel à l’Afrique. Boréale est au centre du roman parce que l’essentiel des cultures subsahariennes est matriarcal et ce sont les femmes qui, au cours de l’histoire, ont été garantes de la pérennité des traditions. Elles en assurent toujours la sauvegarde culturelle, peut-être même davantage aujourd’hui qu’hier ; et il est temps, grand temps, de prendre conscience que l’Afrique est la nurse de l’humanité.

Pourquoi avoir lié l’histoire au christianisme qui a fait tant de mal au continent et continue de lui en faire ?
C.B. : C’est le clergé qui a fait du mal à l’Afrique, pas les chrétiens. Le catholicisme s’est naturellement imposé aux peuples noirs parce que leurs divinités ancestrales ont pris place d’égal à égal auprès de tous les saints comme intercesseurs à Dieu. L’islamisation actuelle de certaines cultures africaines (plus que de certains pays) est un épiphénomène. L’emphase médiatique que l’on en fait est de la poudre aux yeux, car la place qu’accorde le coran aux femmes ne correspond en rien au matriarcat local. En outre, une religion sans intermédiaire à Dieu n’est pas viable en Afrique, sauf à aller contre une culture millénaire, ce qui est inconcevable à long terme.

Boréale ne regarde jamais en arrière. Le colonialisme fait partie de son histoire mais elle l’envisage sans plainte ni larmoiement. Ne craigniez-vous pas d’être en opposition avec beaucoup d’africains sur ce sujet ?
C.B. : Hormis en Rhodésie et en Afrique du Sud, la colonisation n’a jamais existé. La réalité est ailleurs. Pour le comprendre, l’Afrique a besoin d’une psychanalyse.

Le propos n’est pas banal.
C.B. : L’occupation physique d’un pays par la force n’est pas la colonisation. Les européens croient à leurs propres fantasmes parce que les africains se laissent prendre au piège de la peur. La France a t-elle été colonisée par les allemands ? Personne n’accepterait d’entendre cela. Elle a été occupée, ce n’est pas la même chose. En outre, plusieurs décennies de présence sur un territoire attaché à une culture millénaire, ne sont rien. La colonisation africaine est tout au plus un brigandage. Pour preuve, observons ce qui se passe aujourd’hui et que certains qualifient de post colonialisme. Moins de 10.000 militaires occidentaux sont en place sur le continent africain. Assistance, aide, occupation psychologique, on définira leur présence comme on voudra mais face à un milliard d’hommes, c’est ridicule. Il est temps d’assainir nos rapports. Agissons de pair comme le demandait déjà en 1803 Toussaint Louverture face à Napoléon, et changeons le monde à l’avantage de tous.

On découvre aussi une Afrique passive, comme en attente du changement par la prochaine génération.
C.B. : L’occident vit dans la même inertie sans s’en rendre compte. Le dieu argent impose une passivité létale au rayonnement des peuples. Le système est parfaitement rodé. Il assujettit les plus modestes, c’est à dire les plus nombreux, par le biais de crédits à la consommation qui n’ont jamais été aussi faciles à obtenir. Pour les rembourser, il faut travailler jusqu’à l’endormissement. A cet égard, les africains sont plus libres que les occidentaux. Et puis l’Afrique ressemble à la France d’aujourd’hui : l’une et l’autre semblent endormies alors qu’elles touchent à la fin d’une longue et douloureuse gestation.

Boréale comme un exemple pour l’Afrique, en quelque sorte ?
C.B. : Boréale comme aurore, comme matin, comme une argile à modeler… Elle s’acharne à vouloir comprendre l’Histoire avec un grand « H », qui la ramène à la sienne avec un petit « h » pour, à la fin du livre, trouver la force de se prendre en main. Alors oui, Boréale comme exemple pour un pays, mais aussi comme espoir continental.

Aujourd’hui, les plus beaux néologismes francophones viennent du Québec et d’Afrique. Votre livre en regorge. Vous créez des mots, vous inventer des verbes, les adverbes font des entrechats. Le français est-il encore une langue hexagonale ?
C.B. : Je l’ai dit et le redirai autant de fois que nécessaire : Le Français est francophone et la francophonie n’est pas française. Prenez l’exemple des idéologies du monde noir : l’égyptologie, le panafricanisme… tous ces systèmes de pensées sont nés de et par la francophonie, pas un n’est d’origine anglophone, ou alors il a été exprimé en français. Dés lors, on se demande pourquoi les français sont complexés face au anglo-saxons.

Et vous, Calixthe Beyala, assumez-vous votre héritage franco-africain ? Cela vous choque-t-il d’entendre que vous écrivez comme une africaine ?
C.B. : Je prends votre question comme un merveilleux compliment. A l’encontre de ceux qui préfèrent admirer les autres, mon matériau est une langue féminine, sensuelle et désirable.

Existe-t-il une écriture camerounaise ?
C.B. : Non, je n’écris pas comme Mongo Betti, ni comme Leonara Miano. En revanche, il existe une écriture africaine. Le Cameroun est une petite Afrique dont les frontières actuelles ont été imposées par le brigandage évoqué tout à l’heure.

J’ai relevé cette phrase : « Elle s’abima dans la lecture de magazines féminins. »
C.B. : On voudrait nous faire croire qu’il est possible d’apprendre à faire l’amour le temps d’un article ou d’une interview… On nous crée des personnalités à travers de pseudos tests abêtissants… Combien de femmes se laissent crever de faim pour modeler un corps qui ne sera jamais celui dont elles rêvent ? Ces magazines sont une substitution à l’expérience, ils sont nuisibles à l’épanouissement, on s’y fracasse. L’un de mes combats est d’inciter les plus jeunes à lire autre chose que ces bêtises. Lisez et vous deviendrez grand, parce que vous apprendrez effectivement (mais aussi affectivement) à être autre chose qu’un banal consommateur.

L’Afrique n’est-elle précisément pas devenue consommatrice de l’occident, et parfois même des restes qu’il lui accorde ?
C.B. : Un grand bouleversement est en marche. D’ici une génération, tous les peuples du monde seront à peu près au même niveau économique. Les instances monétaires internationales y travaillent après avoir, enfin ! compris l’immense marché que représente le peuple africain. La mondialisation n’a peut-être pas que du mal…

Un livre pour découvrir l’Afrique ?
C.B. : Le monde s’effondre de Chinua Achebe. Indispensable.

Cet entretien est publié dans un magazine breton. Un mot sur la Bretagne ?
C.B. : Sur les bretons, alors… qui sont les plus africains des hexagonaux. Malgré une foi ardente, ils n’acceptent pas de subir les prières de faux prophètes.

Si vous aviez le dernier mot, Calixthe Beyala ?
(Elle s’absente puis revient m’offrir l’exemplaire numéroté d’un de ses livres)
C.B. : J’ai passé un très bon moment en votre compagnie et vous en remercie.

Propos recueillis par Jérôme ENEZ-VRIAD

Le Christ selon l’Afrique de Calixthe Beyala aux éditions Albin Michel, 272 pages, 19.50€

Œuvres de Calixthe Beyala
C’est le soleil qui m’a brûlée, Paris, Stock, 1987, 174 p.
Tu t’appelleras Tanga, Paris, Stock, 1988, 202 p.
Seul le Diable le savait, Paris, Pré aux Clercs, 1990, 281 p.
La Négresse rousse, Paris, J’ai lu, 1995.
Le Petit Prince de Belleville, Paris, Albin Michel, 1992, 262 p.
Maman a un amant, Paris, Albin Michel, 1993, 352 p. Grand Prix Littéraire de l’Afrique noire ;
Assèze l’Africaine, Paris, Albin Michel, 1994, 352 p. Prix François Mauriac de l’Académie Française ; prix Tropique.
Lettre d’une africaine à ses sœurs occidentales, Paris, Spengler, 1995, 160 p.
Les Honneurs Perdus, Paris, Albin Michel, 1996, Grand Prix du roman de l’Académie Français;
La Petite Fille du réverbère, Paris, Albin Michel, 1998, 412 p. Grand prix de l’Unicef ;
Amours sauvages, Paris, Albin Michel, 1999, 251 p.
Lettre d’une Afro-française à ses compatriotes, Paris, Mango, 2000, 96 p.
Comment cuisiner son mari à l’africaine, Paris, Albin Michel, 2000, 170 p.
Les Arbres en parlent encore…, Paris, Albin Michel, 2002, 412 p.
Femme nue, femme noire, Paris, Albin Michel, 2003, 230 p.
La Plantation, Paris, Albin Michel 2005, 464 p.
L’Homme qui m’offrait le ciel, Paris, Albin Michel, 2007
Le Roman de Pauline, Paris, Albin Michel, 2009.
Les Lions indomptables, Paris, Albin Michel, 2010

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