Jusqu’au 25 octobre, le Fonds Hélène & Édouard Leclerc crée une nouvelle fois l’événement à Landerneau avec l’exposition inédite de 150 œuvres d’un artiste majeur du XXe siècle : Alberto Giacometti. A voir et à regarder.
Regarder, non, « voir », car ce dont nous parle Giacometti c’est de percevoir, de perception et non de regard, voir sans comprendre, car regarder suppose déjà une médiation conceptuelle, ou fictionnelle, une perspective préalable sur un objet, une narration. Regarder cela raconte, représente. Ce à quoi se confronte tout au long de son existence Giacometti c’est à un « voir » sans regard, sans représentation : « Il ne s’agit pas de faire des sculptures ou d’exprimer une affectivité, l’art n’est que le moyen de tacher de voir ce que je vois du monde extérieur », « Je cherche à me rendre compte de ce que je vois, je n’ai aucune intuition philosophique ou psychologique ». Aucun savoir par conséquent, juste un ça – voir comme on pourrait l’écrire dans l’acception freudienne du rêve et de sa figurabilité. De figures Il y en a de nombreuses dans l’œuvre d’Alberto Giacometti, de figures qui figurent jusqu’à l’impersonnel de nos existences, « le particulier devient l’inconnu, Je vous reconnais, je sais qui vous êtes mais au moment où je commence à dessiner, vous devenez cet inconnu… » dit-il encore. Comment ne pas reconnaître dans cet « homme qui marche » la figure même de l’être en marche, cet humain qui porte son ombre ou portée par son ombre, mon visage ?
Car ce qui appelle le voir, cette vision au-delà du regard dans cette merveilleuse mise en scène, scénographie réalisée par Catherine Grenier aux couvents des Capucins, c’est cette ombre qui habitent les sculptures, les tableaux, les peintures noires posés, déposés sur le blanc ou le gris du lieu. C’est donc sur ce fond négatif, sur cette absence du « voir » que Giacometti a investi la matière. Nulle abstraction dans tout cela, pas plus qu’une remise à débat de l’éternel écart entre la représentation et son échec à représenter le réel : quand il abandonne la représentation classique sur modèle et qu’il cherche dans le cubisme ou le surréalisme une réponse à ce voir sans savoir, il comprend progressivement que le symbolisme n’est encore qu’un autre savoir. Quand il reprendra le travail sur modèle dans son atelier dans les années 1935 ce sera non pas pour représenter mais bien pour s’ouvrir à cet inconnu, celui qui hante la figure humaine à la manière dont Dilasser , lui aussi se jouant des écoles, nous donnera les « têtes silencieuses »!
En 1946 Giacometti publie un texte « Le Sphinx et la mort », récit d’un rêve ou il confie ce sentiment étrange de percevoir la mort à travers les vivants. Rêve traumatique dont la récurrence témoigne et habitera ces peintures, ces modèles soumis à des séances de poses interminables dans la froideur de l’atelier. Dans mon musée personnel, est associé à ces portraits, celui de Francis bacon de 1953, Le pape Innocent V, métamorphose d’un tableau de Velasquez, un tableau de peur où la béance de la bouche, décompose le regard. Les portraits de Giacometti s’y prolonge, la fixité des regards est surprenante et troublante, nous voient-ils ?
Les sculptures et peintures d’Alberto Giacometti ne représentent pas, elles sont présence à elles mêmes et aux autres, elles dialoguent avec l’absence et l’espace, elles articulent la durée, « l’homme qui marche », marche infiniment, mouvement toujours reconduit dans toutes les directions de l’être et du manque à être. Alors nous revient ce si beau texte de Maurice Blanchot, « la solitude essentielle » : « Et l’apparition dit précisément que quand tout a disparu, il y a encore quelque chose, lorsque tout manque, le manque fait apparaître l’essence de l’être qui est encore d’être encore là où il manque, d’être en tant que dissimulé… » C’est de ce manque à être que l’œuvre de Giacometti se nourrit, de ces ombres de bouches, de mots, de couleurs et de traits qui s’épuisent à circonscrire la grisaille de nos existences.
Les fonds Hélène et Édouard Leclerc, nous offre une exposition rare et émouvante, leur orientation, leur ouverture à un public large, leur situation dans le pays de Landerneau ne méritent que reconnaissance, nous ne pouvons que les remercier !!!! BRAVO.
LNA à Rennes le 5 août 2015
Exposition Alberto Giacometti – Jusqu’au 25 octobre au Fonds Helène & Edouard Leclerc, Les Capucins, 29800 Landerneaux
Renseignements : 02 29 62 47 78 – [email protected]
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