Chanteuse et comédienne, Viktor Lazlo est aussi romancière et Bretonne. Elle ne s’est pas contentée de choisir pour pseudonyme le nom d’un des personnages du film Casablanca, elle en a aussi la distance, l’élégance et la courtoisie nécessaires aux belles rencontres. Son dernier roman, Les tremblements essentiels, raconte l’histoire d’une star de la chanson disparue du jour au lendemain. Qu’est-elle devenue ? Bretagne actuelle lui a posé la question. 


Jérôme Enez-Vriad : Le titre de votre roman est très joli…
Viktor Lazlo : Merci. L’expression vient d’un médecin qui m’exposa un jour que certaines émotions passent par des tremblements incontrôlés sans aucun rapport avec parkinson ou d’autres maladies incurables, on les appelle les tremblements essentiels. L’image, proche de la théorie de l’oscillation m’a plu car elle s’attache à l’errance développée dans le livre. Elle évoque aussi la mise à jour des faiblesses, des doutes et de l’inconscient qui sont les autres sujets de l’histoire.

Il y est question d’une jeune femme caribéenne, star de la chanson qui disparait de la vie publique. On est obligé de la projeter sur vous…
VL : J’en suis à mon troisième livre. Quoi que j’écrive, l’image de la chanteuse prend toujours le pas sur celle de l’auteur. Cette piqure de rappel est aussi une manière de me défaire du rôle que l’on m’impose.

Qu’aimeriez-vous dire d’entrée de jeu à propos de ce texte ?
VL : Déjà, que Les tremblements essentiels ne sont ni un jeu ni un caprice de chanteuse, mais un roman qui relève d’un prétexte à une colère : j’avais des choses à dire et qui mieux que moi pour le faire ? Ce livre est aussi et surtout un médicament nourri du plaisir des mots.

Tout commence avec Alma Sol qui ne se présente pas à l’enregistrement d’une émission « censée ressusciter les oubliés de la profession. » Est-ce un message de la chanteuse par la plume de la romancière ?
VL : (Sourire) Un message, non. Un indice, oui. Manière de verbaliser un vécu pour le laisser derrière moi.

Vous évoquez Alma Sol comme « le produit contesté de la génération play-back »…
VL : Lors de ma première télévision, je n’ai pas compris pourquoi on me demandait de chanter en play-back, chose que je n’avais jamais faite. Cette phrase est à la fois une manière de planter le décor pour m’approcher au plus près d’un univers que je connais, mais elle est aussi un clin d’œil à toutes ces fois où je n’ai pas chanté réellement, alors que le propre d’une chanteuse est précisément de le faire.

Un play-back bien fait ne peut-il être aussi respectable que le direct ou la scène ?
VL : Je n’en suis pas juge pour les autres. Le play-back n’est malgré tout pas ma conception du métier car je sais ce qui se cache derrière.

Ecrire un roman, c’est enfermer un personnage dans une histoire. Auriez-vous pu envisager Alma Sol dans un autre décor ?
VL : Non, je ne pense pas qu’elle puisse exister dans un autre contexte. La première écriture de ce livre (premier jet) date de 2010. La gestation fut longue car il y a d’abord eu l’appel du sujet puis celui des personnages qui, au fil des relectures, ce sont imposés à l’histoire d’une manière spécifique ; ensuite, ils ne sont plus interchangeables entre eux, ni transposables dans un autre univers.

Vous avez travaillé sur la narration de trois personnages. Pourquoi cette « trinité » ?
VL : J’aurais presque naïvement envie de répondre « par hasard », mais vous n’êtes pas le premier à me faire cette remarque… (Silence studieux)… Disons que cette « trinité » nourrit Alma au fil du roman si l’on accepte de la voir en croix face à ses démons.

Vous êtes née à Lorient d’un père Martiniquais et d’une mère Grenadienne. Comment vos parents sont-ils arrivés en Bretagne ?
VL : Par Lann-Bihoué, base aéronavale où mon père envisageait faire carrière dans la marine avant de déchanter. Au début des années 60, tout était plus difficile qu’aujourd’hui pour un homme de couleur, y compris dans l’armée française. Je fus Bretonne jusqu’à ce que mes parents s’expatrient en Belgique.

Qu’en avez-vous gardé ?
VL : De la Bretagne ? (Sourire) Beaucoup d’images magnifiques et roses qui me lient indéfectiblement à ce pays. Je crois au fil qui rattache l’homme à son lieu de naissance. Ensuite, de 4 à 27 ans, la Belgique fut le royaume (aux sens propre et figuré) des premières fois. C’était en région flamande, près d’un site nucléaire à côté d’Anvers.

A vous lire, on a le sentiment d’une écriture francophone plutôt que française…
VL : Franco-belgo-antillaise, je suis un pur produit de la francophonie. Mais sans doute est-ce également lié à mon père qui lisait beaucoup San Antonio. Frédéric Dard s’inspirait de tous les argots francophones. Cette emphase littéraire a nourri mon vocabulaire à travers celui de mon père. Mes parents mettaient aussi un point d’honneur à n’utiliser autant belgicisme. A la maison, le français n’était pas négociable. Et puis, n’en déplaise à certains, la francophonie est plus française que la France n’est francophone.

Est-ce difficile de se mettre dans la peau d’un homme ?
VL : Non car j’écris avec la voix de chaque personnage en tête. Penons Aurèle qui est un gentil garçon, un peu étroit aux entournures, certes, mais la manière dont il s’exprime, ses gestes et les mouvements de son corps se superposent instantanément lorsque j’écris. Tout est limpide, d’une évidence presque énigmatique.

Vous parlez de vos disques comme de livres que l’on feuillète. Les Tremblements essentiels sont-ils un livre que l’on écoute ?
VL : (Grand sourire) J’aime cette idée. L’histoire est construite sur trois confessions que vous avez joliment définies comme une « trinité ». Chaque narrateur développe une énergie différente, une musique qui lui est propre en fonction de ses origines sociales, de son histoire et du message qu’il fait passer.

Toutes les fuites s’achèvent-elles dans les bras de l’homme qu’on aime ?
VL : Il y a des choses que l’on sait très tôt sur soi ; on a beau les nier et les fuir, elles nous rattrapent en permanence. L’acceptation des évidences est aussi le sujet du livre, c’est à dire  prendre conscience que si l’on s’est trompé, il faut avoir l’humilité de revenir au point de départ qui n’était jusque là qu’un mauvais point de fuite.

Si vous aviez le dernier mot, Viktor Lazlo ?
VL : En général ou lié à cet entretien ?

C’est vous qui choisissez.
VL : Et bien… Merci mais je ne reviendrai pas. (Large sourire suivit d’un éclat de rire)

Propos recueillis par Jérôme Enez-Vriad – Janvier 2015
Copyright JE-V & Bretagne Actuelle

Les tremblements essentiels de Viktor Lazlo
Editions Albin Michel
250 pages – 18 €


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