On peut actuellement voir sur les abribus de la ville une campagne en faveur des mal-logés. Chaque image affiche un caractère pictural : le tout en demi-teinte avec une lumière soigneusement étudiée.
En optant pour une vision esthétisante de la misère, sans doute les publicitaires ont-ils eu la volonté de ne pas choquer. Ils ont souhaité interpeller tout en préservant la dignité des personnes concernées : « Pauvres mais propres ! ». Par-delà les codes du genre, les éléments implicites – voire subliminaux – de l’idéologie bourgeoise, demeurent. Ces images, en un sens trop bien faites, sentent le fabriqué. On pensera peut-être aux peintures de Vermeer ou de Rembrandt mais verra-t-on d’emblée dans ces affiches ce qu’est la réalité des mal-logés et leur détresse ? L’image n’interpelle pas directement, c’est par la réflexion qui vient dans l’après-coup que se fait la prise de conscience. Il s’agit, pour parler moderne, d’une stratégie « two shots », visant à susciter une réflexion a posteriori. Mais on peut légitimement s’interroger : sur combien de personnes se révélera-t-elle efficace ? Ou encore n’est-ce pas un faux emploi pour la publicité, dont le principal ressort reste le désir ? On peut cependant accorder assez de crédit aux publicitaires pour penser qu’il atteignent leur but.
Ce qui ne semble pas être le cas en ce qui concerne le réveil des consciences auquel Yann Arthus-Bertrand entend travailler à grand renfort – lui aussi – de belles images. Toutes ces vastes étendues magnifiées par la lumière, ces découpes ultra-graphiques de paysages choisis font l’effet de contre-messages : en quoi permettraient-elles de prendre conscience de l’état de la planète ? Telle ou telle étonnante géométrie de champs blonds ou de vertes forêts dit-elle bien à quel point notre monde est abîmé ? À force d’esthétisation on manque sa cible. Ce sont plutôt là, des images, semblables à celle qu’on voit dans un passage du film « Soleil vert », où l’on montre à celui qui va mourir les images magnifiques d’un passé révolu. Ce sont des images sur lesquelles on se retournera avec nostalgie comme dans un vieil album de famille présentant les temps heureux et qui auront leur sens quand la sècheresse aura dévasté des continents, en même temps que la montée des eaux aura submergé des terres, quand notre planète sera définitivement endommagée.
Evidemment, ç’est bien mieux de finir le journal télévisé par ces belles images apaisantes, tout en nourrissant sa bonne conscience par ce pseudo acte de militance.
Au diable ces visions lénifiantes et anesthésiantes d’un monde enchanté : l’art érigé en artifice ne rend pas compte du mal-être de notre planète. Le seul message aujourd’hui susceptible de porter -malheureusement pas assez efficacement- est celui qui dérange. Il est ingrat. Il est politique. Et il est urgent de se le réapproprier dans une société qui se gargarise de bons sentiments et de jolis clichés.
Écolos, végans, décroissants, ces nouveaux croyants qui fondent espoir sur une autre monde sont les annonciateurs de la catastrophe imminente. Ils sont autant de prophètes de malheur qui nous enquiquinent. « On verra bien quand ça arrivera, et il sera bien temps d’agir alors ! » diront certains, « Ras-le-bol de ces messages trop alarmistes ! ». Et, bien que ces porteurs d’alertes aient au fond raison, on pense avoir le temps. On préfère les ignorer en cultivant doucement sa cécité derrière ces belles images. Qui n’atteignent que le cortex et pas les hémisphères.
Quoiqu’il advienne de la COP 21, c’est l’enjeu majeur de tous les temps. Des civilisations ont été mortelles, aujourd’hui c’est de notre planète qu’il s’agit. C’est de notre espèce menacée dont il est question. Ça paraît tellement immense, que c’est évidemment irreprésentable.