Thomas Fersen c’est un peu le charme discret de la chanson française, tendre parce que célébrant les petits plaisirs de la vie, drôle parce que s’entichant de nos petites manies. Et s’il manie l’ironie ce n’est jamais pour se moquer de son prochain, plutôt pour tenter de comprendre le mécanisme de ces moments de folie qui nous traversent. Il y a un côté espiègle et théâtral chez lui, un côté unique surtout qui fait que sa carrière entamée il y a vingt ans n’est pas prête de s’arrêter. Rencontre avec un parisien d’origine auvergnate installé dans le Finistère.
Quelle est l’histoire de cet album, le neuvième ?
Thomas Fersen : La petit histoire c’est que j’avais déjà enregistré l’album au studio Garage à Paris, j’en étais à une phase où j’avais posé toutes les voix, les guitares, les basses, la batterie, le piano et j’en étais à penser à des arrangements supplémentaires. Je suis passé au théâtre de Villefranche sur Saône, et là le Directeur du Théâtre Moreau me donne une compilation de chansons actuelles en rapport avec un festival. Je rentre à la maison et je l’écoute, sur la quinzaine de titres je tombe sur le Ginger Accident. J’entends un OVNI dans la compilation, un son, une production, une dynamique. Je me fais violence, je cherche sur internet leur contact et remonte jusqu’à Cédric, je l’appelle et lui envoie mes chansons. C’était une aventure qui s’ouvrai à moi que je n’avais pas prévue, et qui était bien au-delà artistiquement parlant de ce que j’avais fait puisque moi d’une certaine façon je n’aime pas me répéter.
Où a-t-il été enregistré ?
Thomas Fersen : A Loguivy-Plougras, dans les côtes d’Armor à la hauteur de Lannion à peu près, une région que je connaissais parce que j’ai une maison dans le Finistère. J’avais fait mon premier album en Bretagne il y a vingt ans, ça s’appelait « Le Bal Des Oiseaux », je l’avais enregistré avec un petit camion mobile au Val André, c’était Vincent Frèrebeau, le Directeur de Tôt ou Tard, qui m’avait emmené là-bas dans le cinéma avant qu’il ne soit refait. Donc pendant quelques années, entre 1991 et 1995 j’allais au Val-André chez Vincent. Ensuite, avec Pierre Sandra qui est un musicien que Vincent m’avait présenté aussi, tous deux pères divorcés, il m’a proposé de venir passer mes vacances avec ma fille, chez lui dans le Finistère. J’y suis allé plusieurs fois, ça m’a tout de suite plu, la lumière tout ça, j’y suis donc allé, retourné, à l’hôtel, j’ai loué des maisons, j’avais des copains, ma fille aussi, et un jour j’ai acheté une maison que j’ai toujours. C’était une maison où j’allais pendant les périodes de vacances et même en dehors, et là cette année, j’ai inscrit les enfants à l’école là-bas. Donc je connais bien ce coin-là, et beaucoup de mes chansons se sont nourries d’histoires que l’on m’a raconté là-bas : « Saint-Jean du Doigt » (CD « Gratte-Moi La Puce », 2005), je parle du Curé de Lanmeur, dans « Qui est ce baigneur » et du vide grenier de Plouzélambre dans « Mais oui mesdames » (toutes deux chansons du CD « & The Ginger Accident », 2013). Voilà la Bretagne c’est important, même si je suis Parisien d’origine Auvergnate.
Comment expliques-tu cette image de dandy qui te colle à la peau ?
Thomas Fersen : Il y a quelque chose qui me séduit beaucoup dans la civilisation, c’est son côté absurde, comme par exemple la chanson « Joe-la-classe » qui achète une paire de chaussures en anguille et qui ne reconnaît plus ses pieds (CD « & The Ginger Accident », 2013). Au départ on met des chaussures pour se protéger du mal, et puis on en vient à se mettre des choses extrêmement raffinées parce que c’est comme un gage de civilisation. C’est peut-être de là que ça vient mon côté raffiné, c’est que j’aime la civilisation, j’aime le raffinement un peu fou qu’on peut mettre dans les choses, aussi un peu pervers et compliqué.
Tu sembles également avoir une place à part, tu sors régulièrement des disques mais tu n’as jamais eu de succès populaire.
Thomas Fersen : Un énorme succès populaire c’est toujours un peu difficile à gérer, j’ai toujours voulu avoir le champ libre. Pourquoi je fais un disque tous les deux ans et demi ? Parce que je le sens en moi, en présentant cet album ça fait déjà germer en moi le désir de quelque chose d’autre, pour aller ailleurs, pour m’échapper de ce que je suis en train de dire, de ce que je suis en train de vivre. Parce qu’être quelque chose de définitif, c’est un peu être mort. Donc moi j’ai toujours eu ce réflexe de désobéissance, d’aller me mettre ailleurs, de bouger, ce qui explique ce rythme de deux ans et demi. C’est vital chez moi, j’ai besoin de fuir, d’aller de l’avant, c’est pour ça que je tourne beaucoup, 1000 concerts en vingt ans. C’est aussi vrai dans l’écriture de mes chansons, j’ai une écriture de départ, de mouvement, c’est aussi pour ça que je suis difficile à cerner. Alors je n’ai pas eu effectivement de tube au sens radiophonique du terme, mais j’ai eu des tubes curieusement dans l’éducation nationale avec des chansons comme « La Chauve-souris » (CD « Triplex » 2001) qui est enseignée dans beaucoup d’écoles maternelles et primaires de France. Le monde de l’éducation m’invite régulièrement. C’est un succès peu différent.
Tu as peu écrit pour les autres, j’ai juste noté une collaboration avec Vanessa Paradis dans ta discographie ? (La chanson Les Piles sur l’album « Divinidylle »)
Thomas Fersen : J’avais écrit un disque pour Marie Trintignant, juste avant sa disparition, un duo est sorti sur mon cinquième album « Pièce Montée Des Grands Jours » (2003) et puis on avait commencé à enregistrer quelques chansons que j’ai toujours. Elle voulait faire un disque, ça ne sortira jamais. Ça m’arrive que l’on me demande une chanson mais il est vrai que c’est rare, je ne fais pas la démarche non plus. Je crois que c’est parce que je me mets systématiquement en dehors, j’ai plein de potes, mais je ne fais pas partie d’un gang. C’est une question de caractère et aussi parce que dans la famille on a toujours été très clanique, mes parents ayant déménagé plusieurs fois on se retrouvait entre nous.
Qu’écoutes-tu?
Thomas Fersen : J’aime beaucoup écouter Nina Simone, Loïc Antoine, j’aime bien les chansons de Malicorne, Ron Sexsmith, ça part un peu dans tous les sens… J’aime les auteurs compositeurs, c’est mon truc à moi. C’est souvent américain d’ailleurs, plus qu’anglais, cette tradition de songwriters me plait bien.
Qu’attends-tu chez les autres ?
Thomas Fersen : Une certaine qualité d’écriture, une certaine sincérité, une certaine intelligence dans les choix aussi. J’aime bien les chansons bien construites, mais chez Malicorne par exemple, j’aime beaucoup ces paroles tragiques. On retrouve ça aussi dans une certaine partie de mes chansons. On racontait beaucoup d’histoires sanglantes il y a quelques années, pour faire travailler l’imaginaire, j’aime l’imagerie un peu folle comme ça.
Que n’aimes-tu pas du tout ?
Thomas Fersen : La complaisance, le maniérisme, l’affectation.