Jacques Josse a mis en page ici un lumineux antiguide littéraire de Rennes. Cet essai transforme avec brio la capitale bretonne en un creuset où se concassent les mots et les rimes des illustres anciens, les petits jours incertains et les aperçus furtifs d’une planète immense.


Jacques Josse est-il un promeneur solitaire ou bien plutôt un de ces clochards célestes qui, de la place Rouppe à Bruxelles au Bronx où vous savez entre Gourin et ici, promènent des dégaines délavées, des rires édentés et des alcoolémies enchantées.

Les éditions Apogée donnent ces temps-ci un petit livre qui se glisse dans la poche des rennais. Terminus Rennes est son titre et son auteur un des goélands perchés sur les toits ou des étourneaux étourdissants de l’avenue Janvier. Jacques Josse rend leurs sons. Son écriture est vive autant qu’à vif. Josse vous ne pouvez pas le manquer, ses cheveux en crinière volent autour de lui. Arpenteur des nuits blanches, infatigable même si ses yeux ont tant trié de plis au tri postal. Josse reste aux aguets. Des aubes sales dans la zone de Cesson au crépuscule humide au pont de l’est.

Ce nouveau guide rennais est à acheter de toute urgence. C’est un faux lumineux entre déambulations et zig zags imprécis où tout se mélange dans une géographie mentale dont les baies des Horizons donnent directement sur Prague et où les vaches volent, pies à la renverse, quand le vent s’engouffre en octobre 87 dans la rue Hoche. Josse invente une ville que pourtant il connaît comme sa poche sauf que dans sa poche des ombres, des visages, des bouts de bois, une croix tordue, des mains qui cherchent, c’est un tableau de Marc Louise présenté à Ombre et Lumière.

Josse est un poète qui aime les poètes. Ses compagnons sont tous là, à Rennes au moment où il y est. Réunion d’amis. Certains sont des ombres: Jarry, Lequier, Villiers de l’Isle Adam ou le Comte de l’Isle rentrant esseulé au 4 de la rue des Carmes. Josse vide ses poches et les porches des rues rennaises. En trouvant d’autres moins lointains qu’on a croisés aussi, Perros, Abraham, Dugué ou Landrein. Certains passants sont des passeurs et s’attardent avec Jacques Josse. Les nuits sont tendues, les canettes riboulent sous la table, la rocade résonne d’alarmes ou de crissements glauques. Le livre est un guide, suffisamment court pour que la ville se visite de chaque côté de ses murs, suffisamment long en bouche pour que chacun des lecteurs y agrippe une réminiscence, un nom de bar, une fille croisée là, une main d’ami serrée ici.

La liste des bars est longue et l’énoncé de leurs titres un poème, quasiment, à la page 44 avant que Pirotte, un habitué des zincs et pas que rennais, quittent en loucedé le Garden pour son septentrion.

Josse a ce don d’éveiller les six sens de la ville et ceux du lecteur s’il est rennais aussi. S’il ne l’est pas, c’est le monde, le savez vous, qui par moment entre Dupont des Loges et le Vénezia sur sa petite île, s’invite.

Josse provoque les rencontres. Surtout tardives. Le matin vite rejoint et c’est Rennes s’éveille ! Les relais se prennent entre les embaucheurs d’aurore et ceux qui cherchent à tâtons sans réveiller les voisins la maudite minuterie qui a encore disparu. Reste la poésie ! Toujours de garde, H 24 !

Il n’y a pas de phares et balises que sur les côtes bretonnes. En plein centre à Rennes, on sent que les miradors de la prison des femmes ou le gyrophare du Samu 35 captent aussi la pupille des allumés.

Josse est comme tous les passants un promeneur qui ne veut pas tout voir ni tout montrer certain recoin plus noir de Rennes. Il ne veut pas se rappeler le séjour de Céline à Rennes, rien pour Louis Ferdinand fait médecin place Hoche et marié de Quintin. Dans ces angles morts réside la tension, au risque de surtension. Rennes a ses angles morts, on le savait. C’est vérifié ici !

Jacques Josse est ce lent promeneur qui voit vite la tournure que ça prend. Pas seulement en spectateur attristé mais en témoin d’STMicro (électronique) et de ses abandons brutaux et juteux des quartiers sud : Josse voit encore comme si c’était demain les hordes de CRS qui, un matin de juin, vinrent les déloger avec matraques et gaz lacrymogènes afin de préparer le transfert des machines à l’autre bout du monde.

À la Binquenais, au bord du bout du monde, regardez au cinquième étage dans la barre que Josse habite, vaguement bleuté par un écran tard la nuit. Les mots du poète sont ceux de chaque rennais qui hante ses quartiers, dessus et dessous maintenant. Faites bien attention. En remontant le grand escalier de République, possible que vous vous retrouviez en périphérie de Prague, en mars 96.

Féval est là bien sûr et Descartes dont le père se prénommait Joachim et fut doyen au Parlement de Bretagne. Chateaubriand est cité, grandiloquent bien sûr, Rennes me semblait un Babylone

Mettons que Josse offre un antiguide, mettant Rennes à l’endroit, petit point sur la carte que la littérature jamais ne ligature.



Jacques Josse. Terminus Rennes. Ed Apogées. 9€50

0 Commentaires

Laisser un commentaire

Abonnez-vous à notre newsletter

Edito

Articles similaires

Autres articles de la catégorie Essai