La 3e saison du Festival Daniou se tient de nouveau à Dinard du 7 au 24 août prochains. Ces nouvelles rencontres musicales permettront aux spécialistes du baroque d’accorder leurs instruments aux musiques contemporaines avec des textes tout spécialement écrits pour les concerts. Et c’est Anne de Bretagne qui sera la reine des festivités. Un rendez-vous que l’on doit à Simon Frisch, breton de 3ème génération de New York. Un retour aux sources pour cet enfant de la double culture. Rencontre.


Si son aventure portait un nom, elle pourrait s’appeler : « Bretagne, mon amour…» Et quel amour… A commencer par celui porté à son grand-père sur lequel il pose toujours un regard d’enfant. Car l’histoire démarre bien avec ce dernier, un jour, à Rostrenen, dans les années 20 quand Brieuc Bouché, alors âgé de vingt-trois ans décide de quitter sa Bretagne pour une vie meilleure. « La vie était dure en ce temps-là », aime à rappeler admiratif son petit-fils derrière ses jolies lunettes cerclées de noir.

Et pourquoi pas l’Amérique, New York, où sont déjà installées ses deux sœurs. L’année 1928 sera l’année du grand départ. Brieuc quitte ses parents simples fermiers pour traverser l’Atlantique. Là-bas, rêve déjà le jeune Breton, il sera charpentier. Arrivé à bon port, le Costarmoricain veut apprendre le métier et même tenter l’université. Mais à New York, les études coûtent cher. Il lui faudra pour cela redire au revoir à ses sœurs et traverser, cette fois, de bout en bout les Etats-Unis pour rejoindre la Californie où l’enseignement supérieur est gratuit. Le jeune Brieuc reprend donc son bâton pèlerin et gagne la côte Ouest où il rentre comme prévu à l’université. Son diplôme en poche, le Breton a la capacité d’enseigner dans les lycées mais son statut d’immigré l’en empêche. C’est aux Japonais, prisonniers des camps, après les attaques de Pearl Harbor qu’il fera en premier découvrir son métier tout en continuant à travailler le bois. Il enseignera aussi aux Black Panthers dans un climat souvent marqué par la violence.

La suite de l’histoire navigue entre art médiéval et musique… Brieuc rencontre sa future femme, Lucile, dans les camps japonais, enseignante comme lui. Le couple s’installe à Lafayette, non loin de San Francisco où Anne-Marie, leur fille, voit le jour. La maman de Simon, libraire à ses débuts, décroche un doctorat en histoire de l’art médiéval puis rencontre à son tour, Walter Frisch, lui-même jeune docteur en musicologie. Tout un programme…

Arrivent Nicolas et Simon. Tous deux, on s’en serait un peu douté, ne tardent pas à tomber dans la marmite artistique du clan américano-breton. Simon, le petit dernier se met au piano à huit ans et à seize, c’est la révélation. « J’avais déjà beaucoup étudié la musique, relate presque timide ce grand garçon brun de son doux sourire. J’adorais le piano mais je ne voulais pas pratiquer. Et en solo, j’ai toujours eu un peu peur. La chorale du lycée m’avait demandé d’écrire un morceau. J’avais choisi Pablo Neruda. Et coup de chance incroyable, une soprano, Renée Fleming, très connue aux Etats-Unis assistait au concert en tant que parente d’élèves. Super gentille, elle m’a seulement dit : « Tu es un compositeur. »»

Ce moment marquera d’une pierre blanche la vie artistique déjà bien remplie du jeune Simon qui à dix-huit ans fait ses premières classes à Juilliard School à New York, l’un des plus prestigieux conservatoires aux Etats-Unis. 

Pas moins de onze ans sont déjà passés depuis le décès de Brieuc en 1995 que Simon a très peu connu. « Je n’avais que cinq ans à la mort de mon  grand-père. J’en ai très peu de souvenirs », se désole le musicien de vingt-cinq ans. C’est peut-être pourquoi cette même année, Anne-Marie, sa maman, décide d’acheter une maison au sud de Dinard, dans une petite commune de 800 âmes, Langrolay-sur-Rance. Le début d’un beau retour aux sources. « Beaucoup de membres de la famille avaient migré vers Dinard et Saint-Brieuc, reprend le jeune compositeur dans un excellent français. C’est pourquoi, maman avait choisi ce coin à quinze minutes de Dinard. Chaque été, nous y allions pour revoir les cousins et tout le monde. Et c’était aussi l’occasion de nous forcer à pratiquer la langue.»

A New York où il est installé avec sa famille, Simon obtient son master de musique classique et comme chaque année, file en Bretagne, pour les vacances. Mais son diplôme en poche, le jeune garçon s’interroge, doute de son avenir même si la Bretagne, terre de son grand-père et de ses racines, l’inspire et le tourmente à la fois. « Je me suis demandé s’il m’était possible de faire quelque chose en Bretagne, se rappelle le tout nouveau gradué. J’étais Breton sans l’être totalement, compositeur sans l’être vraiment. On sait combien il est dur de gagner sa vie dans ce métier. J’étais un peu des deux à la fois et un peu perdu dans les deux. »

«J’adore la Bretagne et je sais que les Bretons adorent la musique et les jeunes talents, assure cependant Simon. Pourquoi ne pas y apporter quelque chose de moi, faire comme mon grand-père qui avait offert son savoir-faire à d’autres communautés. » Le Festival Daniou était né.

En août 2014, Simon débarque dans la maison familiale avec trois jeunes musiciens du conservatoire Juilliard. Les cousins mettent le paquet pour trouver un lieu. « La famille s’était souvenue d’une ancienne épicerie tenue par ma tante à Dinard transformée en galerie d’art moderne. » Simon se remet à la composition. Le concert d’ouverture est donné le 18 août en sous-sol, façon « underground ». « On se demandait bien si ça allait marcher », se souvient-il. La moitié de la salle fait partie de la famille mais les chaises viennent à manquer. « Il y avait quarante-cinq personnes. Des gens étaient debout. Mes cousins étaient scotchés »,  raconte encore tout émoustillé le musicien.

Un second concert a lieu à la chapelle Sainte-Anne à la limite de Saint-Buc au Minihic-sur-Rance. Le bouche-à-oreille commence à fonctionner. Une centaine de personnes se déplacent pour écouter ce quatuor américain déroutant dégainant un surprenant répertoire mélange de classique et contemporain. La proximité s’installe, le public apprécie et s’amuse. « On est très proche physiquement des gens, avance fièrement le jeune prodige. A la fin du concert, on discute et on boit un verre. On avait même organisé une loterie pour échanger des mails. On faisait gagner des bouteilles de vin. »

Fin septembre, la fête est finie mais on se promet bien de se retrouver l’année suivante. C’est l’un des cousins de Simon qui involontairement provoquera Daniou, édition II. « La femme de mon cousin est amie avec Béatrice Forbes, du nom du célèbre magazine américain, s’étonne encore le jeune Simon. La famille possède une propriété à Saint-Briac. Nous avons été présentés. » « Mais nous redoutions le pire le jour de notre rencontre, ajoute dans un grand éclat de rire le compositeur. Notre clarinettiste qui avait trop bu avait du mal à marcher. On l’avait un peu forcé à rester derrière. Mais nous avions passé un très bel après-midi.»

Qu’à cela ne tienne, après cette rencontre improbable, rendez-vous est pris. En août 2015, un concert de plein air est donné dans la demeure des Forbes. Le public se régale. D’Olivier Messiaen à Béla Bertok, de Ravel à Astor Piazolla et son tango argentin, ou encore de Machaut, l’un des plus célèbres compositeurs du XIVe s. en passant par la musique minimaliste de Philippe Glass, le registre éclectique de ces musiciens d’outre-Atlantique séduit les Bretons.

Le festival s’étire pour le coup sur presque trois semaines. Bilan des opérations après quatre concerts et une série de prestations organisées lors d’une manifestation baptisée la soirée des Galeries à Dinard, plus de 1000 spectateurs dans les rangs des Américains qui ne se sont pas produits à quatre mais à six. Et au plus grand bonheur de ces derniers. « C’était incroyable, répète le créateur de Daniou. La musique permet de plus de développer une autre capacité, celle de restaurer les emblèmes de la région. Avec nos concerts, on a aidé à la réfection des orgues de la chapelle Saint-Buc. Et cet aspect est très important pour moi. Les personnes viennent et voient à quoi nos concerts vont servir. »

Jamais deux sans trois. La 3e saison du Festival Daniou du 7 au 24 août prochains se prépare avec la venue cette fois de douze musiciens. « Ma mère commence à en avoir marre de voir la maison prise d’assaut pendant des semaines», plaisante le jeune Frisch.

Pour l’édition 2016, les petits surdoués de Juilliard, leur compositeur en tête, prévoient encore de savants mélanges, formule magique de ces nouvelles rencontres musicales. Des spécialistes du baroque accorderont leurs instruments aux musiques contemporaines avec des textes tout spécialement écrits pour les concerts. Car un personnage et non des moindres est attendu à Dinard et ses environs durant l’été. Jugez plutôt. Anne de Bretagne « herself » sera la reine des festivités. « Je visite sa vie, je la partage, déclare avec délectation le petit-fils de Brieuc Bouché. Je vois aussi à quel point la mort peut devenir un symbole. »

Mais trop impatient de voir entrer sur scène la reine des Bretons, le musicien américain n’aura pas pu s’empêcher d’inviter cette dernière avant l’heure mais loin de ses terres. C’est à New York qu’Anne de Bretagne vient en effet de faire sa première apparition.

Un premier concert a été programmé le 14 janvier dernier dans un loft à Soho. Et pour donner un avant-goût de sa culture et celle de son aïeul aux New Yorkais, Simon a sorti une autre idée de son chapeau: faire découvrir les recettes de son grand-père. « Il conservait précieusement dans des cartons des dizaines de recettes de cuisine qu’il rédigeait de sa main, révèle son bienheureux descendant. Avant de passer au piano, je me suis donc mis aux fourneaux.»

Far, galettes, cidre breton, les meilleures confections y sont passées. « J’ai voulu m’adresser aux personnes présentes et leur dire, voilà ma famille, voilà mon histoire, poursuit ému Simon. Les Bretons aiment se connecter et être entre eux. Ils sont très fiers de leur histoire et de leur langue. »

Lightbox, une galerie d’art devant un public de jeunes branchés, au sud de Times Square et l’église luthérienne Holy Trinity à deux pas de Central Park auront accueilli les deux autres concerts de janvier. « La musique baroque est mixée avec des narrations, résume le compositeur. C’est un travail de mémoire, d’identité qui navigue entre terre et mer. »

Le résultat ne s’est pas fait attendre. « Les gens ont adoré. Les Américains, les jeunes notamment, aiment beaucoup ce côté sincère et réel de la culture bretonne. » 

L’association BZH New York, dont Simon est membre depuis peu, n’a pas tardé non plus à exprimer son grand intérêt pour ce jeune musicien fasciné par la Bretagne de son aïeul. « La première fois que j’ai appelé BZH NY, c’était pour leur demander où je pouvais trouver du cidre pour mon concert à Soho. Et je me souviens que le co-président, Laurent Corbel, m’avait demandé : « Et sinon, tu fais quoi dans la vie ? » » « Simon est un Breton dans l’âme et en plus d’être adorable, il est doté d’un talent fou », renchérit Véronique Gautier co-présidente de BZH.

La suite se jouera au concert d’ouverture de la Fête de la Bretagne le 17 mai prochain à Manhattan pour lequel Simon et ses copains ont même prévu de chanter en breton. « Le fait que le breton ait quasiment disparu est une tragédie, constate tristement ce garçon de la 3e génération. Beaucoup de textes, de poèmes, de littérature ne sont plus accessibles. C’est pourquoi, j’ai voulu mettre des poèmes en musique pour les faire chanter dans la langue d’origine. »

Un seul regret cependant pour ce Breton d’Amérique, c’est que Brieuc, le charpentier de Rostrenen ne soit pas là pour assister aux performances de son talentueux petit-fils. « Ma mère qui pense toujours que j’en fait trop m’a dit un jour que mon grand-père serait incroyablement fier de moi s’il était encore vivant, tente de se rassurer Simon. Si je fais tout cela, c’est pour lui et grâce à lui. »

Festival Daniou

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