Faire d’une idée un documentaire, c’est une gageure. Catherine Rechard qui a déjà filmé Le déménagement de la prison Jacques Cartier de Rennes jusque Vezin le Coquet remet ça.
Elle remet ça parce que précisément on le lui fait remettre. Elle s’attaque au dur, elle montre l’impossible, le point de butée après quoi, limite franchie, qui est qui ?
Que reste-t-il de la personne incarcérée ? Que reste d’humanisable dans cet humain dont les yeux deviennent un bandeau noir ou un flou ?
Le déménagement avait eu d’abord l’imprimatur du Ministère puis, au dernier moment, retour sur décision, les personnes incarcérées avaient dû être floutées avant diffusion.
Catherine Rechard, n’a, à juste titre, pas digéré cela.
Alors elle reprend la question par le bord extérieur. Par les personnes qui sont sorties et donc témoignent à visage découvert, ou, prouesse dans ces temps de flip général, au sein d’un atelier philo de la prison d’Épinal.
On s’attache à trois personnes. On les voit nous dire pourquoi un corps se délite en prison, grossit, s’haltérophilise ou disparaît. D’abord des radars de soi, ensuite des radars de tous. Question : comment un humain peut le rester hors le commun ?
Oubli des autres, oubli de soi. On entend celui qui est arrivé en prison après un simple mais terrible accident de la route. Vie stoppée. Coma d’incarcération prolongé.
Que reste-t-il du visage d’une femme qui ne se voit plus jamais en entier ? Sans vitrine où se mirer, sans glace des pieds à la tête ? Son corps morcelé, réduit à des parties de voir, ne lui ressemble jamais car ne la rassemble pas.
Le visage, l’administration pénitentiaire veut le protéger en le faisant disparaître. La question est ici démontée, tranquillement, sans invective, on allait dire, en douceur.
Question lévinassienne. De haut vol mais vitale. Qu’est ce qui me définit si je n’ai plus le regard de l’autre qui croise le mien ? Comment m’envisager si je ne suis plus dévisagé ? Si je dois, par injonction de justice ou médiatique, voir mes yeux soustraits. C’est au nom de la protection de l’intime que les Journaux télévisés floutent dans leurs reportages. En cachant, est ce qu’on protège ou, au contraire, est ce qu’on augmente le stigmate. Est ce qu’on hyperbolise la peur, l’effroi, voire est-ce qu’on expose à l’effroi et à la peur ? Se profile dans le téléspectateur que l’assassin en a la tête.
On apprend dans Visages défendus que 95% des personnes incarcérées le sont pour des peines de moins d’un an.
Le précieux docu de Catherine Rechard nous dit assez simplement que le visage des personnes incarcérées ressemble aux nôtres.
On les voit dans le film réfléchir ensemble, discuter, parler, penser. Avec des yeux qui sourient, des bouches qui articulent, des visages incroyables, sans stigmate ni marquage. Incroyable non ?
Cette révélation que Catherine Rechard nous fait. En les montrant elle nous montre.
Gilles Cervera
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Les Visages défendus
Un film de Catherine RECHARD
Produit par Marie Laurence et Franck DELAUNAY
Candela productions
Projection en avant-première mardi 19 janvier 2016 à 19:30 à la Scam, 5 avenue Vélasquez, Paris. Et le 5 février au Ciné Palace à Epinal
Réservation à [email protected]