Avouons-le d’entrée, on a des états d’âme. Car qui connaît cet auteur, qui lit ses livres qui sortent quasi chaque année et chaque année sont un régal, une tension nouvelle, un muscle littéraire. Les livres dont il est question sont concis. Ciselés, ils cisaillent.
Pour dire vite, concernant la rentrée littéraire et l’écriture métronomique, il y a d’un côté Nothomb pour le grossissant de la jumelle, la chasse d’eau médiatique et Ravey, il se nomme Yves Ravey, pour la finesse, la gravité, le petit côté de la lunette, la discrétion portée au rang du grand art.
Ravey voit au microscope l’âme mais sans en avoir l’air. Répercussion intérieure garantie alors que Ravey écrit en extérieur, comme on dit filme en extérieur. Pour mieux voir les fenêtres éclairées, et ce qui s’y passe derrière. Précisément, exactement. L’écriture est clinique et pourtant chaque livre, surtout les premiers, changeaient de cap et de style à chaque fournée.
Depuis quelques années, Ravey installe un lieu, précis, une ambiance, nette, il écrit au couteau et pas par le manche, par l’effilé. Pas d’effet sauf l’absence d’effets. Pour les affects, interrogez les vôtres !
Voyez comme nous avons des états d’âme pour inciter à le lire. C’est par Le Drap paru en 2003 que nous avions fait connaissance. Un livre triste, un livre grandiose par l’âpreté minuscule de notre sort commun, mortel, et fils d’un paternel.
Alors conseillons d’entrer dans Ravey, pour ceux à qui sa biblio aurait échappé, finie l’engueulade, commençons par son dernier. Sans état d’âme est le titre.
Le héros est celui qui devient vous au fur et à mesure que vous lisez. La lecture de Ravey est rien d’autre qu’une entourloupe. Méfiez-vous, peut-être est-il possible que cette lecture vous transforme. Vous vous divisez le temps u livre, à lire d’un coup comme on boit cul sec et, à tous les coups, vous devenez un autre. Il vous débarque de vous et vous devenez par exemple un notaire peu ordinaire (l’avant dernier titre), ou en l’occurrence ici un chauffeur routier, héros simple, célibataire aux yeux de Chimène pour sa voisine. Elle le hante, une copine d’école. Il a traîné avec elle ado dans la campagne vide, le long du canal, on n’en saura pas tellement plus sur les bisous réels, les trucs fantasmés, cet âge de l’adolescence vide ses fantasmes ou non consommés longtemps après, mais le chauffeur routier, entre la discothèque et le canal, vous êtes lui, pas facile pour vous.
Un obsessionnel, vous le devenez. Maniaque même, faisant attention à tout, vous lavant et vous relavant les mains, et brûlant ce qu’il faut brûler, au risque d’un papier oublié sous la commode ou glissé sous la cuisinière..
Ravey, n’en disons pas plus, découpe dans la société un quartier, une rue, trois maisons du lotissement. C’est quasi unité de lieu ensuite car vous, le routier, pas sûr malgré votre ordre de mission en Pologne que vous foutiez le camp. Pas sûr qu’après un Ravey vous ne rêviez pas en Ravey, un sale truc qui traînasse, une culpabilité vague, un drôle de goût dans la bouche.
Répétons-le pour les chanceux auxquels il aurait échappé, tout Ravey est comme ça. Il découpe du réel et vous y plongez. Il était prof, ou l’est-il encore, de dessin notamment, peut-être en lycée professionnel. On sent ça, c’est technique, c’est abouti. La chaîne de production Ravey tourne à plein et sort ces temps-ci chez Minuit un bouquin d’excellence. Zéro défaut, zéro graisse sauf l’huile de coude.
Le raveytiel est un référentiel avec état d’âme qui donne idée d’où en est notre état d’homme.
« Sans état d’âme » par Yves Ravez aux éditions de Minuit – 128 pages, 12,50€