Nicolas Rey est l’un des plus brillants auteurs de sa génération. Son talent n’a d’égal qu’une fragilité de verre en lutte contre de mauvais démons. Il est à la fois la rose et l’épine… A la fois la mélancolie de Tristan et l’euphorie magique d’Iseult… Son nouveau livre, Dos au mur, parle de lui. Encore et toujours de lui. A travers un personnage imaginaire qui pourrait-être lui. Nous l’avons rencontré devant un verre de Coca light.

Jérôme Enez-Vriad : Un auteur ressemble peu ou prou à ses personnages. Votre narrateur est intelligent, drôle, plein d’esprit, décalé, autant de qualités qui n’expliquent pas son mal-être et, à l’inverse, devraient le rassurer…
Nicolas Rey : Vous savez, vous pouvez être plein d’esprit et totalement désespéré. Guitry disait que c’était précisément les hommes revenus de tout dont le cœur pouvait craquer comme celui d’une midinette.

Dos au mur raconte l’histoire d’un auteur qui n’arrive plus à écrire, sans doute parce que pour écrire il faut un déclencheur et un carburant. Quels sont-ils chez vous et duquel vous arrive-t-il de manquer ?
NR : Le déclencheur : une histoire d’amour. Le carburant : l’alcool à mes débuts. La codéine par la suite. La cocaïne après. Mais j’ai été clean en écrivant les trois derniers livres. Alors on va dire le Coca light pour finir.

Contrairement à ce qu’annonce la quatrième de couverture, le sujet du livre n’est ni le plagiat, ni l’impossibilité d’écrire, mais bien davantage l’amour sous toutes ses formes : érotique, filial, égotique…
NR : Je vous serre fort et longtemps dans mes bras, mon ami. Et je vous remercie d’avoir compris à la perfection ce que j’ai voulu raconter.

C’est aussi un livre sur la peur, comme tous vos textes, la peur en générale : de vivre, de se confronter, d’agir et de faire, la peur de soi dans ce monde-là…
NR :Plus que sur la peur, je dirais que c’est un livre sur la fuite, la fuite en permanence. Voyez-vous, moi, je suis insatisfait, faible, fébrile, intranquille, nerveux et je repousse toujours plus loin l’action où je dois faire. Joséphine (mon amoureuse) est une personne saine, vive, conquérante. Elle ne tergiverse jamais devant les broutilles. Elle entre toujours dans le vif du sujet, elle explore les contrées, elle taille dans le réel et elle fend la nuit sombre. Mon Dieu comme je l’admire ! Mon Dieu comme je l’aime ! Alors ce livre en est un sur la peur, oui, mais aussi et avant tout sur la fuite.

Dos au mur est-il un constat d’échec ou une preuve de résilience ?
NR : Un constat d’échec dans un premier temps. J’espère aussi qu’il se termine comme une preuve de résilience.

On a le sentiment que votre personnage n’a pas envie de grandir, toujours engoncé dans les mêmes problématiques que celles évoquées dans les livres précédents…
NR : Bien vu ! Dans ma tête, j’ai toujours 17 ans. Disons que je dois avoir 17 ans et une trentaine d’années !

Comme dans chacun de vos livres, tout est vrai mais rien n’est exact (à moins de ce ne soit l’inverse), ce qui n’est donc plus de l’autofiction mais de l’hétéroréalité.  Pourquoi avoir choisi cette option ?
NR : Parce que je ne suis bon qu’à ça. Je ne respecte ni le roman, ni l’autofiction. Et la langue française, je la respecte encore moins. La langue française, je la bouscule, je lui fais l’amour et je fais des gosses avec elle.

Pourriez-vous inventer totalement sans jamais vous inspirer d’un vécu ?
NR : En aucun cas.

Lorsque vous écrivez : « Si un jour Joséphine me quitte, est-ce que je vais me remettre à boire ? » ; cette phrase laisse entendre que l’amour est à la fois votre Gardénal et votre Maxiton et que, dans les deux cas de figure, vous (ou le personnage) en êtes dépendant.
NR : Pas faux. Mais cette fois je suis resté sobre. Par amour pour mon fils et par amour pour Joséphine.

Au fond, quelle est la drogue la plus dangereuse ? La cocaïne ? L’alcool ? L’amour ?…
NR : Vous le savez aussi bien que moi… L’amour ! Les autres arrivent si loin derrière….

N’en avez-vous pas assez des addictions comme fond de commerce ?
NR : Si. (Éclat de rire) Tiens ! Je vais écrire un livre sur le yoga ou la danse bulgare.

Cette manière d’écrire très resserrée, en micro chapitres, est-elle un choix ou une incapacité à faire plus long ?
NR :  C’est très simple. Je vous explique.  Je me réveille vers 15h00. Je bois un café. Je regarde de façon désagréable mon ordinateur. Je pense à ma page du soir mais rien n’arrive. Aux alentours de 22h00, j’allume mon ordinateur. La page est vierge. La fameuse page blanche. Je reste de longues minutes à la regarder fixement. J’ai mes cigarettes, mon cendrier et mon verre de Coca Light…

Jusque-là, rien de vraiment original…
NR : Je poursuis… Les choses peuvent durer très longtemps comme ça. Et puis arrive une idée. J’en prends soin comme d’un enfant malade. Je la laisse grandir, vivre sa propre existence. Arrive l’heure de la première phrase. Oh, comme je la protège cette première phrase ! Ensuite, les mots s’enchaînent. C’est comme une musique sur mon clavier. Il faut que ça tape et que ça swingue comme pas possible.
(Nicolas Rey, prend son temps)
Puis c’est l’été qui approche. Le soleil qu’on aperçoit. On est au milieu du lac. Il devient possible, enfin, d’atteindre l’autre rive. Je nage le crawl. Redoute les crampes. Je vais y arriver puisque je l’ai déjà fait. Il n’y a pas de raison que les choses ne fonctionnent pas cette fois-ci.
(Nouvelle cigarette)
Voilà ! J’y suis parvenu. Ravi et totalement mort. J’ai surtout mal au dos. Je m’allonge sur un transat. Commande un Perrier menthe. La littérature est la nage la plus dangereuse qui soit. Elle demande une condition physique exceptionnelle mais elle vous détruit le corps sans vous offrir le moindre répit. Il est 07h00 du matin. Je referme mon ordinateur. Et j’ai terminé mon chapitre.

Comment vous vient l’idée d’un roman ?
NR : Une femme. A présent, ce sera toujours la même.

Si je dis que vous paraissez attachant, que j’aime l’idée de vous savoir écrire face à une citation de Sagan colée au-dessus de votre bureau, mais aussi que ce drapeau israélien qui vous rassure à côté de l’ordinateur, me plait…  Si je vous dis tout ça, vous répondez quoi ?
NR : Que je vous aime aussi…

Si vous aviez le dernier mot, Nicolas Rey ?
NR : « Avec », parce qu’on ne peut pas vivre sans.

Interview réalisée à paris le 02 mars 2018
© Jérôme Enez-Vriad et Bretagne Actuelle 2018
© Portrait Jean-Philippe Baltel

Dos au mur
Un livre de Nicolas Rey
Éditions Le Diable Vauvert
272 pages – 18€
En librairie le 15 mars 2018

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