Je passe le Pont de Recouvrance qu’il a chanté et traverse le quartier du même nom. Je songe à quel point Christophe Miossec a été important, pour moi et pour beaucoup, depuis plus de 20 ans et son premier album, Boire. Au-delà même du fait d’être considéré, avec Dominique A, comme un fondateur de la « nouvelle scène française ». Il nous sauvait d’une certaine façon. Comme s’il disait la simple vérité qu’on attendait. Avec une lucidité sans compromis, une poésie du quotidien où soufflent en même temps rudesse timide et érudition, des récits d’amours inéluctablement déçues, cette mélancolie du temps qui passe. On se retrouvait enfin dans l’expression courageuse de ses failles. Changeant régulièrement de formules, de musiciens, il a poursuivi sans plan de carrière, nous surprenant parfois et souvent avec bonheur. Après 10 albums studios et une tournée marathon dans une multitude de lieux improbables, il sort son premier disque live Mammifères aux Bouffes du nord, avec sa formation du moment (violon, accordéon, guitares et claviers), avec laquelle il a joué proche du public, ce qui lui semble le plus honnête. C’est aussi ce qu’est cet album live : honnête, sans retouches, avec d’émouvants défauts. Un vrai live, sur le fil, funambule et cascadeur, vivant. Miossec revient finalement à une certaine épure, avec une volonté de ne pas radoter, de ne pas baliser le parcours, quitte à prendre le risque d’aller dans le décor. Déjà, il prépare la suite en ayant hâte de repartir sur la route… Je longe la côte brestoise pour le rejoindre chez lui, dans son coin, où il allait enfant puis ado sur les roches qui surplombe la mer. C’est là qu’il a révisé son bac… et probablement là qu’il s’est souvent réfugié à contempler l’idéal.

Entretien face à la rade de Brest, devant un tableau mouvant de ciel, d’océan et de lumières.


Tu viens de terminer une interminable tournée, longue de quasiment 4 ans. Tu es épuisé ?
Non pas du tout ! On ne fait quand même pas des tournées internationales…
C’est la bringue qui peut faire que c’est fatiguant. Mais il y a des métiers vraiment épuisant. Le mien n’en fait pas partie. Pas de « pénibilité du travail »…

Tu as toujours le trac avant chaque concert ?
Oui toujours. Maintenant c’est devenu une copine ! (rires)
A une époque, c’était l’apocalypse qui te tombe sur la tête…

Tu as voulu cette longue tournée, dans des petites salles ou des lieux improbables, partout en France ?
Oui. Si tu fais vraiment de la musique, « hé ben vas-y », en fait… Vas voir ce que tu as dans le bide…

Tu m’avais dit que tu ne pourrais faire que tourner au fond ?
Oui, c’est ce moment du concert qui fait que tu fais ton métier. On vit une époque assez terrible et je trouve que dans ces moments de concert tu as l’impression d’avoir une part d’utilité en fait, d’éprouver ce qui est important. Enfin, une chose que je ne ressentais pas du tout il y quelques années de ça.
Si tu merdes ce moment-là, si les gens qui se sont déplacés, qui sont sortis de chez eux, d’un certain merdier, sont déçus par ce qu’ils viennent voir, c’est ta responsabilité… Enfin, j’ai l’impression que ça pose des vrais questions quoi.

Ça tu n’y pensais pas forcément avant ?
Du tout. (rires)

Ce qui te fait prendre conscience de ça, c’est l’époque, la période de ta vie ?
Oui, tout ça mêlé je pense.
Du coup d’aller dans les petits endroits, les petites salles, et de pouvoir jouer sans être lié et contraint par l’économie, c’est super.
Je travaille avec une boîte qui s’appelle Radical, mon tourneur. Et c’est particulier d’aller voir ton tourneur pour lui dire : « j’ai une idée de tournée, on va perdre pas mal d’argent… » (rires). Ils te suivent quoi. Radical Production, en France pour moi, c’est eux qui font ce qu’il y a de meilleur. Les gens qu’ils font tourner, c’est tout ce que j’aime en musique. Ça fait du bien.

Et après ces quatre ans de tournée, tu confirmes tu aimerais continuer à ne faire que ça, des concerts ?
Oui, tu as envie d’améliorer, tu as envie de toujours croire à des lendemains qui chantent. J’ai hâte à la prochaine tournée quoi ! Là du coup, le boulot que je fais, c’est pour partir en tournée.

Et des petits lieux aussi ? Ça t’a beaucoup plu ça ?
Ah oui ! Ça, il faut continuer.

Parce que tu es beaucoup plus au contact du public ?
Oui, tu te fais un bien incroyable à toi-même en fait. Quand l’endroit est petit, généralement, tu vas te coucher le soir, tu as l’impression d’avoir fait plaisir. Ce qui n’est pas forcément le cas quand c’est une salle qui programme je ne sais pas combien de groupe dans la semaine.

C’est comme ça qu’est née l’idée de ce premier album live ?
Oui, c’était de fixer ça. Mais j’ai hyper les jetons : un disque live c’est particulier… Aujourd’hui, tous les live sont tellement traficotés…

Tu as voulu quelque chose de très honnête avec quasiment pas de retouches en fait ?
Oui, voilà ! Du coup peut-être qu’il y a plein de gens qui vont se dire : « Ah ouais, c’est pas terrible en fait… » (rires)

C’est pour ça que tu reculais, que tu n’avais pas envie d’être contraint de faire quelque chose qui soit retouché ? Le live en général ne te plaît pas ?
Oui, c’est ma façon de fonctionner mais je n’ai jamais été complètement fan de ce que je faisais… Je remettais un live à plus tard, quand ce serait mieux. Mais c’est surtout la salle, les Bouffes du Nord, qui m’a convaincu. Y jouer quatre soirs, ça n’arrive pas tout le temps… Donc il y avait les circonstances. Mais en même temps, il y avait un truc suicidaire, c’est qu’on a arrêté de jouer avec l’accordéoniste précédent juste avant de partir au Mexique et du coup, Thomas, qui joue avec nous dans le live, c’est son premier concert en France… On a joué avec un trouillomètre à zéro…

Vous aviez tous un trac fou ?
Oui, complètement. Tu fais un live, alors que c’est nouveau ton truc… (rires) Tu tournes quatre ans et pour ton live et tu n’as fait que cinq concerts avec le gars et encore… Tu joues dans des conditions « olé olé ».

Mais il y avait une synergie, j’imagine, entre vous, et une part de risque qui te plaisaient ?
Oui, cette façon de faire de la musique comme ça aujourd’hui, un peu « à l’os ».

Pendant cette tournée, comment est-ce qu’a été l’accueil du public ? Vous avez été bien reçu dans ces lieux, parfois improbables, petits ? Il y avait vraiment un accueil chaleureux ?
Oui, ça regonfle, ça donne des responsabilités. Mais là, aux Bouffes du Nord le public était aussi assez délirant. Mais c’est surtout que j’ai l’impression d’avoir trouvé une formule là avec laquelle il y a peut-être « de l’avenir ». Enfin, je n’ai plus envie de jouer avec deux batteries etc…

Tu es heureux de cette formation ?
Oui, mais elle va bouger. On va faire autre chose, mais de ne plus être quatre en ligne, je trouve ça génial. Et puis, je ne jouais pas de guitare, même si je compose à la guitare depuis vingt ans et depuis, les derniers concerts, j’y suis tout le temps, je ne la lâche plus.

Ça te plait ça ?
Oui. Après 50 ans, se mettre à quelque chose… (rires) Et là, tu te vois t’améliorer.

Donc tu vas poursuivre dans la même voie, la même veine ? Le même type de formation ?
Oui, enfin la formation pop-rock, basse batterie, plus jamais.

Tu disais à une époque faire de la variété ? C’est encore le cas ou au fond, on ne classe même plus ?
Aujourd’hui c’est dingue comme le langage est vraiment essoré en fait. Il y a des mots qu’on n’ose plus prononcer. (rires) Parce qu’ils ne veulent plus dire grand-chose. Je veux rester dans quelque chose d’un peu brut en fait.

Dans cet album live, il y a Mammifères et d’autres titres qui ont eu du succès. C’était ton choix personnel ?
Oui, pour que tout ne soit pas basé sur le disque Mammifères. Pour qu’on puisse aussi écouter La Mélancolie ou Brest.

Tu en es content de ce live ?
Je ne sais pas… Mais la pochette oui ! (rires)
Des potes me disent qu’il est très réussi, mais moi réellement, mes oreilles, mon cerveau…, je ne suis pas la bonne personne pour dire si c’est bien ou pas finalement.

Tu m’as dit que le post-punk, pendant ces quelques années, fin 70, début 80,   entre le punk et la new-wave, t’a beaucoup influencé, avec Gang of Four, Wire, Marquis de Sade en France. C’est toujours le cas ?
Depuis le départ, pour moi, l’idée est de faire du post-punk et je me rends compte que quand j’ai un peu oublié ça, je fais des trucs vachement moins bien en fait… (rires) Le fait que, dans le premier disque (Boire en 1995), il n’y ait pas de batterie, ça vient de ce post-punk là, de dire : « on fait avec la contrainte, on n’a pas beaucoup d’argent, on se démerde et on trouve un truc… »

Donc au fond, tu as toujours essayé de fonctionner avec cette idée-là, qui date de cette époque ? Tout ce que tu as fait jusqu’à aujourd’hui encore ?
Oui, c’est pour ça que ça ne peut être que décevant, que ça me pousse toujours à continuer à bosser. C’est ça qui est chouette, c’est que tu tentes des trucs…

Que tu réussis quand même souvent !
Dans l’idée pas encore… Ou alors peut-être que ce que j’ai fait de mieux est derrière moi… C’est une sorte de naïveté ou d’inconscience de croire qu’en se mettant à travailler plus, ça va être mieux (rires).

On a dit aussi que Dominique A et toi, vous êtes à l’origine, au début des années 90, d’une nouvelle scène française ?
Plus ça va, plus je trouve que ce n’est pas si flagrant que ça. Il y  avait quand même Murat, et plein d’autres choses. Je ne sais pas… Mais c’est vrai qu’au bout d’un moment, je me rends compte des influences… Quand je me retrouve, comme je suis en ce moment à devoir écrire des textes, je me rends compte que le mec que j’ai influencé est dans les mêmes plates-bandes que moi ! Le champ est pris, donc il faut aller ailleurs. Ils te font dégager de ton territoire en fait. (rires)

Aujourd’hui, il y a des groupes bretons qui t’intéressent ?
Oui, mais ce n’est plus le même contexte, il y a des structures de soutiens, des smac (scènes de musique actuelle), des trucs de formation… Une professionnalisation qu’il n’y avait pas avant. Nous c’était vraiment « la bite et le couteau », et on y va. Pas de plan de carrière sociale …
En même temps, ce qui est drôle, c’est que, par exemple, au festival Visions au Fort de Bertheaume cet été (à Plougonvelin, dans le Finistère), ce n’était que de l’underground poussé et ils ont fait 2500 personnes, au complet. Il y a plein de niches qui se développent comme ça en Bretagne, totalement underground. Ça bricole vraiment et les gens font de la musique sans se dire qu’ils vont gagner leur croûte après.

Ça, c’est intéressant pour toi ?
Oui, je crois que c’est la seule façon de faire quelque chose d’intéressant, pas trop gambergé, pas trop balisé.

Propos recuillis par Grégoire Laville

Mammifères aux Bouffes du Nord – CD / DVD


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