Qui sait, c’est peut-être un coup de foudre qui aura fait de Luis Gutiérrez un chef. Découvrant les richesses de la cuisine française, le fils de Maria y voit un champ d’exploration extraordinaire. Récompensé après des années d’un travail acharné, il lance ses propres créations, faisant fi des préjugés. Les fines bouches applaudissent…

– Portrait 3/7 – 

Forgé par des milliers d’heures de travail en déjà dix ans de pratique, curieux de tout et toujours autant passionné, le jeune homme met son nez dans la cuisine française très prisée dans la Grande Pomme. C’est le coup de foudre. « C’est un style unique », martèle Luis subjugué.

Le jeune Mexicain d’origine y découvre un terrain de jeu extraordinaire et une source d’inspiration sans limite. Pourtant, la mise à l’épreuve est dure et le chef français très pointilleux. Mais Luis toujours et encore, écoute, patient, endurant et constant.

« Parfois, la vie vous teste »

Fort de son succès à Broadway, Cognac, second du nom, ouvre sur Lexington Avenue dans l’Upper East Side, l’un des quartiers les plus riches de New York. Nous sommes en 2013. Florian Hugo met les bouchées doubles mobilisant sa brigade entre les deux places. Les cadences s’emballent. Luis tient bon en dépit des dures journées, toujours très épris des recettes du vieux monde. « Parfois, la vie vous teste au point que vous avez envie de tout jeter et de disparaître mais ces épreuves sont une bénédiction car elles vous aident à vous évaluer et aller vers les personnes qui vous aiment », déclame-t-il dans des moments de blues.

Le ciel s’éclaircit

Mais un an plus tard, c’est le coup de grisou. Après six ans de dévouement, la toque française décide d’ouvrir sa propre place, Maison Hugo, à quelques blocs de là. La cuisine va devoir se réorganiser et sans attendre. Luis décide de tenter sa chance. Le ciel s’éclaircit soudain. Le jeune Gutiérrez est nommé chef du second Cognac tandis que sa collègue s’installe dans celui de Broadway avec le titre très convoité de chef exécutif.

C’est le début d’une nouvelle vie et d’un autre combat pour l’heureux élu qui n’a pas vingt-huit ans. Il est souvent reproché aux chefs étrangers de copier bon an mal an les recettes françaises.

« Certains savaient tout juste cuire un œuf »

Dans un temps qui n’est pas si ancien, notoriété culinaire de la France oblige, certains cuisiniers « gaulois » et peu scrupuleux traversaient l’Atlantique se présentant comme chefs qu’ils n’étaient que sur le papier dans le seul but de se faire rémunérer avec largesse par leurs employeurs.

« J’ai appris avec d’excellents chefs français, atteste un brin ironique Andre, né au Guatemala, aux commandes depuis plus de vingt ans d’une ancienne cuisine bleu-blanc-rouge à Manhattan. Mais j’ai vu aussi défiler je ne sais combien de gars pendant vingt ans. Certains savaient tout juste cuire un œuf. »

Vaste et douloureux débat

A cette évidence s’en ajoute une autre bien mais plus cruelle celle-ci. Les employés de cuisine, du plongeur parfois jusqu’au chef, sont en grande majorité latinos. Leurs employeurs eux-même pris à la gorge par des coûts de fonctionnements exorbitants liés, entre autres, aux prix galopants des loyers, font appel à des hommes et des femmes arrivant de régions pauvres d’Amérique Latine et d’ailleurs.

Increvables au boulot et dotés d’une extraordinaire gentillesse, beaucoup sont prêts à tout pour s’en sortir mais leur salaire bien que plus élevé que dans leur pays n’est pas toujours à la hauteur de ce qu’il devrait être aux Etats-Unis.

Vaste et douloureux débat si l’on en juge par la manne financière qu’apporte au pays une main d’œuvre jugée bon marché qui, de plus, s’acquitte de ses taxes.

Il travaillera plus encore 

Est-ce le fait d’une nouvelle génération hyper connectée arrivant sur un marché de plus en plus exposé ou tout simplement l’engouement du métier, Luis préfère miser sur sa marotte de toujours et surtout sur les recettes du pays de Molière.

Loin des stéréotypes et des clichés, il fera la différence par son travail et ses propres compétences. L’art culinaire n’a pas de frontière.

Ses fourneaux plantés au milieu de résidences pour millionnaires, le jeune Gutiérrez endosse son premier uniforme de chef et décide de ne surtout rien changer. Ou plutôt si, il en fera bien plus encore que l’équipe qu’il va désormais diriger.

« Faire, montrer, créer »

Mais pour tenir parole, il lui faut un plan qu’il ne met pas longtemps à trouver. « Faire, montrer et créer » sera sa devise. Dans sa minuscule cuisine en sous-sol, « taillée pour Mexicains », aiment à plaisanter ses collègues tant l’espace est étroit et les plafonds bas, le nouvel homme fort des lieux déroule sa feuille de route bien décidé à tenir ses promesses.

Doté d’une indéfectible détermination, le garçon ne ménage pas sa peine six à sept jours sur sept vire-voletant entre les mini-stations des entrées aux desserts sous l’œil parfois médusé mais toujours reconnaissant de ses co-équipiers. « Luis est quelqu’un de très simple et de très sympa. Il ne se prend pas la tête, souligne admiratif l’un d’eux. Le truc, c’est qu’il n’est pas du genre à attendre que les plats sortent. Il est toujours à faire. Au début, on est un peu surpris car on ne s’attend pas à voir un chef s’impliquer de la sorte mais on s’y fait vite et c’est vraiment appréciable. »

Bel héritage

Former par l’exemple dans une valse perpétuelle invitant viandes, légumes, poissons, crustacés, sauces, herbes et autres desserts à se poser délicatement dans l’assiette.

Organisé, précis et méticuleux, le nouveau chef d’orchestre de Cognac-Est a l’esprit inventif, conscient néanmoins du bel héritage laissé par son prédécesseur. Les gougères, les tartes et tartares au thon et le soufflé au fromage font le bonheur des clients réguliers ? Que Dieu les bénisse et les fasse revenir et encore plus nombreux.

Dans la poche désormais brodée à son nom, Luis Gutiérrez a aussi appris à ranger son ego même s’il est bien décidé à montrer aussi qu’il en a sous le pied.

On parie sur la bonne humeur

Doté d’un caractère bien trempé, le nouveau chef ne met pas longtemps à imposer son autorité. Dans son pré carré, Luis met le cap sur les clients et mise sur l’écoute derrière les fourneaux, gagnant très vite la confiance de son équipe.

Les échanges se font en espagnol limitant les rapports de force et de subordination tout comme les erreurs d’interprétation. Le racisme, l’agressivité, la discrimination et la maltraitance présents dans certaines places new-yorkaises n’ont pas droit de cité dans la cuisine du jeune chef.

On parie plutôt sur la bonne humeur. Les perruques horribles, les fausses dents et les lunettes ridicules sont de sortie pour Halloween tandis que le sapin de Noël trouve sa place dans un coin. « Le métier est suffisamment dur comme ça pour qu’on n’essaie pas de bien s’entendre,» revendique toujours un peu espiègle l’ancien jeune apprenti.

Modeste soupe froide

Rien de tel pour libérer l’imagination. Bouillonnant d’idées, Luis donne corps à ses premières créations. Comme toute personne en émoi avec le goût, le cuisinier aime la simplicité, grand ami du raffinement.

Les entrées sortent tout en finesse. Une modeste soupe froide, servie avec élégance à l’assiette, mélange velouté de gaspacho pastèque et melon et ses petits croûtons parfumés aux lardons, fait un malheur pendant les chaudes journées d’été. « Original, délicieux et rafraîchissant », s’émeuvent les clients abonnés aux meilleures tables du monde.

La Saint-Jacques et son arc-en-ciel de mini-choux-fleurs

Les nouvelles têtes plébiscitent une jolie salade composée de saumon fumé coloré de mâche et surmonté de fines gaufres de pommes-de-terre relevées d’une crème légère au citron. Pendant ce temps, les réguliers s’épanchent sur la traditionnelle soupe à l’oignon, le populaire soufflé au fromage ou encore les immanquables escargots persillés.

Au rayon des plats, plus sophistiquée, cette fois, la coquille Saint-Jacques accompagnée d’un « arc-en-ciel » de mini-choux-fleurs servis avec une mousse de pomme verte et une sauce de homard fait craquer les millionnaires du quartier.

Le saumon sur une mousse de champagne

Le nouveau chef mise sur la couleur, le croquant et la légèreté en complément des classiques de la toque française. Un choix qui s’applique aussi aux poissons que Luis adore mettre en scène. Une pièce de saumon flottant sur une mousse de champagne infusé s’entoure de quelques crevettes grillées le tout animé d’une touche de potimarron, sa marotte, et de quelques graminées. Les fines bouches en sourient de plaisir.

« La décoration ne fait pas tout »

« J’aime la beauté du plat mais pas seulement. La décoration ne fait pas tout, ajoute le nouveau chef. Je regarde aussi la quantité. Rien de pire que de ne rien avoir dans l’assiette. Autant aller manger des burritos. »

Jour après jour, la liste des nouveaux plats s’allonge sous l’œil averti et gourmand de Vittorio, autre palais de la corporation, la fourchette toujours à la main. Jamais recalées, toujours dégustées, voire améliorées, les recettes se marient aux incontournables faisant le bonheur des nouveaux clients qui accourent.

De New York,
Marie Le Blé

Lire la suite de l’histoire de Luis Gutiérrez 

Brasserie Cognac-West, 1740 Broadway,
New York, NY 10019. Tél. (212) 757-3600

Cognac-East, 963 Lexington Ave,
New York, NY 10021. Tél. (212) 249-5100

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