Parti de rien, il a fui la violence de son pays, le Mexique, seul, à treize ans pour réaliser son rêve, être cuisinier. De simple marmiton, Luis Gutiérrez est devenu l’un des jeunes chefs les plus en vue de la place de New York. Passionné de cuisine française, l’enfant de Mexico, aujourd’hui Américain, compte bien revoir celle qui lui a tout appris, sa mère, Maria. Voici son histoire...

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Sur son poignet gauche, le prénom de sa femme, Karlem, joliment dessiné en lettres pleines et déliées. Juste au-dessus, un gros code barre affichant « Made in Mexico ». Deux tatouages pour deux vies auxquelles il pourrait ajouter un troisième, celui de son amour de la cuisine car c’est bien de là que tout est parti.

Pour cela, il faut se rendre dans la ville de Puebla au Mexique quand, le 24 décembre 1986, la belle et douce Maria met au monde son petit dernier qu’elle décide d’appeler Luis. Deux jumeaux, garçon et fille, précèdent le bébé qui a poussé son premier cri le matin de la veille de Noël à l’hôpital. Mais l’heureuse maman ne se doute pas du cadeau que vient de lui faire le Père Noël. Jugez plutôt.

Le petit Luis fait ses premiers pas à El Paso, un quartier de cette ville industrielle d’un million et demi d’âmes située à plus de 2 000 mètres d’altitude et à 110 km au sud-est de Mexico City.

Puebla, sa bataille, ses faïences et ses volcans

Quatrième ville du pays et capitale de l’Etat du même nom, Puebla longtemps appelée la Cité des Anges domine une vallée bordée des trois volcans parmi les plus élevés du pays, Popocatépetl, dit Popo, montagne fumante toujours en éruption, Iztaccíhuatl, dit la Femme Blanche en nahuatl, une famille de la langue aztèque et La Malinche, un sommet endormi de plus de 4400 mètres d’altitude.

La ville et ses maisons aux faïences multicolores, sa cathédrale de style néo-classique et ses églises aux lignes baroques rappellent l’époque coloniale espagnole depuis l’édification de la ville en 1531. Le centre historique de Puebla est même inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est dire.

Siècle des Lumières et Fête nationale

Ce que ne sait pas le jeune Luis à l’époque, c’est que sa ville de sa naissance a aussi été marquée de l’influence française. Le Siècle des Lumières, la Révolution ont beaucoup inspiré les « libertadores » mexicains même si Puebla est aussi connue pour sa célèbre bataille contre les troupes de Napoléon III parties un peu trop vite à l’assaut des combattants mexicains. Ces derniers repousseront le 5 mai 1862 leurs assaillants du vieux monde après seulement quelques heures de combat. Le 5 mai est érigé en Fête nationale mais la France aime le Mexique et le Mexique le lui rend bien.

Dans les pattes de Maria

Loin de ces considérations historiques, Maria doit faire face aux difficultés du quotidien, ses trois enfants sur les bras. Le petit dernier n’a que quatre ans quand elle décide de quitter Puebla avec le reste de la famille pour rejoindre Mexico City. A la capitale, c’est sûr, la vie sera meilleure…

La mère de famille s’installe dans une maison d’un quartier pauvre de l’agglomération aux 20 millions d’habitants, la plus grande des Amériques, où là, elle trouve un travail de femme de ménage. Le papa des enfants n’est pas tendre. Loin de là. Maria en souffre, elle qui pensait offrir une vie meilleure à ses chers petits. Est-ce pour oublier ses peines ? Sa cuisine est l’endroit où elle aime se retrouver. Elle en fait son refuge où toujours une idée de recette en tête, elle concocte de savoureux plats pour ses petiots.

Avec Luis toujours dans ses pattes, Maria s’adonne à sa passion maniant à merveille poissons, viandes, légumes et épices au grand plaisir de son petit monde qu’elle régale avec amour.

Aux fourneaux à sept ans

Attentif et curieux, le jeune garçon regarde opérer sa mère, fasciné par ses prouesses. Avec elle, il observe et apprend. L’année de ses sept ans, il rejoint sa mamà aux fourneaux. C’est la révélation. Un jour, il sera cuisinier. C’est décidé. « Elle préparait toute sorte de plats et notamment des spécialités à base de viande, raconte Luis toujours aussi admiratif. Son mets favori était le coq au vin. Tout ce qu’elle faisait était excellent. C’était vraiment la meilleure. »

Très vite, Maria se fait connaître pour ses talents culinaires mais un jour, c’est la catastrophe. Son mari claque la porte laissant tout le monde sur le carreau. Le jeune Luis supporte mal de voir sa mère malheureuse et sans le sou. Il décide de la prendre en charge. Son frère qui a quitté la maison pour les Etats-Unis l’a laissé seul avec leur maman et sa sœur jumelle. Le petit dernier devient le chef de famille. « Je me sentais le devoir de protéger mes proches », se souvient-il avec la même détermination qu’à l’époque. Luis a tout juste neuf ans.

Enfant-mécano après l’école

Du coup, le petit Gutiérrez, c’est son nom, ne rentre pas tout de suite à la maison après l’école. Il s’arrête chez un garagiste où pour quelques pesos, il apprend la mécanique et répare les voitures. Jouer avec les copains, ce sera pour après.

Deux années passent. La violence fait rage dans les quartiers gangrénés par le trafic de drogue sur fond de guerre entre les cartels. Agressions, enlèvements, tortures, meurtres, vols, demandes de rançon, corruption guettent les habitants à tout moment. Une période qui marque l’enfant-mécano sur laquelle il n’aime pas bien s’étendre. « J’ai vu des choses dont je ne préfère pas parler », souffle-t-il comme pour chasser les démons du passé.

Le petit, lui, rêve d’un autre monde, celui où la peur s’efface devant les rires et les jeux, où le chaos fait place au bonheur.

« Cela se passait très mal »

Entre temps, un beau-père fait son apparition sous le toit familial. Mais l’histoire se répète inlassablement. Rude et agressif, le bonhomme mène la vie dure à Maria et à ses enfants. La maman souffre encore un coup en plus d’être rongée par le remord. Jamais, elle ne pourra donc offrir un peu de sérénité à ceux qu’elle aime.

« Cela se passait très mal », confie Luis avec désolation. Affolé, l’enfant vole de nouveau au secours de sa mère qu’il ne supporte pas de voir dans la douleur.

Entre l’école et le garage auto, le jeune garçon remet le paquet pour gagner trois sous, son rêve de devenir cuisinier toujours à l’esprit tandis que Maria, entre poêles et gamelles, lui transmet tendrement son savoir.

Sa décision prise à onze ans

Et puis, l’idée fait son chemin, pas à pas, jusqu’à définitivement prendre possession de lui. Comme son frère, il partira en Amérique, celle du nord, celle du pays des libertés, de la réussite et de tous les possibles. C’est là-bas qu’il fera cuisinier. C’est aussi de là-bas qu’il pourra aider celle qu’il aime par-dessus tout, sa mère, Maria. Luis n’a que onze ans quand il prend sa décision. Un choix pesant et difficile mais déjà, il doit penser à son voyage car pour partir, il lui faudra de l’argent.

« Coyotes », cartels et droits de passage

Deux autres années s’écoulent. L’enfant a réuni les 1 800 dollars que lui réclament ceux qu’au pays, on appelle les « coyotes », ces fameux passeurs qu’il faudra payer pour la traversée. « C’est mon frère qui m’avait aidé, soupire le Mexicain d’origine comme encore soulagé bien des années plus tard. Mais cette somme n’était rien comparé à ce qu’ils étaient capables d’exiger. » Les cartels exigent en effet un droit de passage en plus des frais de voyage sur ce qu’ils appellent « leurs terres » à proximité de la frontière.

L’obtention d’un visa ? La question ferait presque sourire. Pour fuir la misère, il devra se débrouiller tout seul. L’adolescent aux cheveux de jais reçoit sa feuille de route. Les consignes sont strictes. Il devra prendre l’avion jusqu’à Nogales une ville américano-mexicaine située au nord du pays, à la frontière avec l’Arizona. De là, il devra marcher jusqu’à une rivière pour la traversée.

« Ma mère s’est mise à pleurer »

A presque treize ans, Luis est prêt pour le grand voyage, rejoignant ainsi la grande communauté des Dreamers, ces jeunes migrants de moins de seize ans ayant franchi la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis avec ou sans leur famille. Le minot sera seul dans un groupe de quinze personnes et trois enfants.

L’heure est venue d’annoncer sa décision à sa mère. Un bien éprouvant moment. « Ce jour-là, je me souviens qu’elle était à la maison, raconte le jeune homme tout en détournant son regard. Elle n’a rien dit. Elle s’est juste mise à pleurer. Je lui ai dit que je reviendrais, que je l’aimais et je suis parti. »

Cette même année, une petite fille est conçue, Nahomi, que Luis en très jeune père est aussi bien décidé à soutenir tout comme sa jeune maman. Erreur d’adolescence ? « Absolument pas, revendique le jeune papa. Je ne regrette rien de la venue de ce bébé que j’étais très fier et heureux d’accueillir. C’est ce que je voulais. C’est aujourd’hui une adorable jeune fille qui vit toujours à Mexico avec sa maman. »

De New York,
Marie Le Blé

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