Il est un point sur la carte du monde, infime, immense, minuscule, entre Terre-Neuve, le palais chilien de La Moneda et le Golden Gate. Si vous suivez. Ce point s’inscrit sur la carte planisphère qu’un GPS secret et poétique aide à repérer, celui des vents marins, des bourrasques et dont le nord magnétique est un rade, oui un bistrot et ses quais de zinc.
Liscorno, ce point est là, indéniable, breton par excellence et l’index qui nous le montre est celui de Jacques Josse. Enfant du pays qui écrit à la main. S’ensuit ce petit livre de sens et de soin, un livre recommandable en tout point, géographique, mémoriel, récit d’ombre et d’ambre, aussi parcours initiatique, juste à tous ces bords et les débordant tous. Liscorno est une œuvre discrète, fragile, d’un poète discret, tendre, insoumis comme un silex, pentu comme son village « en terrasse » qui donne direct sur Portland ou Tortilla Flat chère à Steinbeck.
Liscorno n’est pas si biscornu que vous ne le trouviez pas, pas si inconnu que vous ne vous y retrouviez pas, regardez ce que le poète écrit, qui a tellement monté et remonté les « quatorze marches qui me séparaient de ma tanière ». La tanière des livres. Celle du lycéen Josse, qui ouvre sa lucarne par moment et par où passe une palanquée d’étoiles, juchées sur les mots comme, par exemple, Corbière Tristan, Genet Jean, Robin Armand, Celan Paul, voilà pour ceux de notre langue, et d’autres constellations se faufilent entre les ardoises, nommées Snyder Gary, Hrabal Bohumil ou Carver Raymond.
Et d’autres habitants de Liscorno, plus ou moins cabossés, carambolés dirait Josse, des figures de son temps, des saumons nacrés dans des rivières d’argent, « Eugène l’ex-morutier, l’unijambiste, la veuve G ou le cultivateur Ropert », tous rois et reines indispensables.
Jacques Josse nous coince en lecteur, comme on le dit d’un marcheur, infatigable. Il nous coince car il se dit, malgré sa longue marche dans tant de livres, « n’avoir pas (n’ai toujours pas) en main les outils nécessaires pour tenter d’expliquer la retenue et la force d’un vocabulaire ». On se retrouve coincé car il nous énonce son style exactement, hétérodidacte et lunaire, sensitif et solaire, ajoutant par le déni obstiné de la parenthèse qu’il ne sait pas lire autrement qu’en lisant, ni s’accouder au livre autrement qu’en s’accoudant, s’accordant devrais-je dire.
Josse a cette langue légère et souple qui, soudain, comme une rivière d’hiver s’élève, durcit, riboule, cahote, bref, devient un charroi d’eau tout d’un coup solidifié. Josse se faufile entre Michon Pierre et Philippe Le Guillou, références des plus tenables et puisqu’il cite Michaux, il faut s’attendre à ce que le croquis soit encré y compris dans le corps. L’érogénie du texte est indéniable, troublante, réverbérant de ces moments entre le Marin Bitor de Roscoff et l’extrême solitude adolescente.
Merci Jacques Josse, promeneur des comptoirs et conteur des Promenades (un certain parc à St Brieuc où d’autres flâneries eurent sûrement lieu), merci de ces aventures microscopiques dans un hameau d’ici qui pourrait être d’ailleurs, car ici et ailleurs sont du même monde jossien. Réunissant ceux qui pissent contre le mur du cimetière, et arrosons de concert, à ceux qui crachent par terre et s’en vont à l’Arcouest, c’est le père Josse, trimer la semaine en lisant le soir des pleins de romans et d’œuvres (Conrad, Hemingway, Caldwell ou Steinbeck). Ou c’est le grand père Josse, capitaine in partibus, dont la tombe est à la pointe d’un compas à moins que sous le cabestan car celui-ci a non pas caboté autour du Grand Léjon mais bel et bien avec « le médecin » Segalen Paul serré les mains des continents et de tous les océans en même temps.
Josse n’est ni gai ni triste, son livre donc joue avec la mort, regarde les trains arriver avec des tentations. Beaucoup des héros de son livre cannent, d’aucuns guillotiné, nommons le beau Maurice Pilorge « dans la petite cour de la prison de Rennes à l’aube du 4 février 1939 », ou d’autres d’avoir tellement bu d’herbes et s’imbiber de nuées, avec des bocks de terre et de mousse pour s’habituer.
Le rade de Brest est un bistrot peuplé de mots, aux ivresses lyriques, ou pas, sauf à lire Liscorno, livre minuscule et immense en même temps.
Editions Apogée
Blog de Jacques Josse
Jacques Josse, Liscorno, éditions apogée, 12 €