Laurent Boussu, Directeur du département Gestion des risques et assurances des Laboratoires Servier, a répondu à nos questions sur l'affaire du Médiator, l’évolution des indemnisations, mais aussi sur le film La Fille de Brest, prochainement au cinéma.

Avez-vous pu visionner le film d’Emmanuelle Bercot et, le cas échéant, qu’en avez-vous pensé ?
Je n’ai pas vu le film qui n’est pas encore sorti en salle. La réalisatrice Emmanuelle Bercot est une artiste dont le talent est reconnu, mais je crains, en tant que collaborateur du Groupe Servier, qu’il s’agisse d’une nouvelle présentation stigmatisante et partiale du dossier, puisque d’après la réalisatrice, il s’agit uniquement du point de vue de Mme Frachon. En tant que juriste, en revanche, il peut présenter un intérêt dans la mesure où pour la première fois une œuvre de fiction sera présentée alors même que le dossier est toujours en cours d’instruction.

Avez-vous été invités à témoigner, à raconter ce qui s’est passé de votre point de vue dans le cadre de la production de ce film ?
Non, aucun contact n’a été établi avec le Groupe Servier, ce qui montre bien les limites d’une histoire pourtant présentée comme proche de la réalité.

Comment expliqueriez-vous ce qui s’est passé à tous ceux qui n’ont eu que la vision fragmentaire proposée par les médias pour comprendre l’affaire ?
Il y a beaucoup d’incompréhension autour de ce sujet, due à la complexité du dossier ainsi qu’au fait que le sujet a été traité à charge pour Servier dès le départ.
Les questions posées par le dossier Mediator sont d’une importance majeure puisqu’elles relèvent du domaine de la santé publique, de la commercialisation, de l’utilisation et de la surveillance des produits pharmaceutiques. La complexité de ces questions, ainsi que les enjeux cruciaux associés, ont été occultés par une forme d’emballement médiatique qui ne nous a pas permis d’apporter nos réponses et de présenter les informations dont nous disposions. Alors même que le Groupe s’est engagé à indemniser les victimes, qu’il a tenu ses engagements, on lit partout que cela n’est pas le cas et qu’au contraire le Groupe ferait tout pour ralentir le processus d’indemnisation. Cela illustre le décalage entre la façon de présenter les faits et la réalité. Chacun peut consulter les chiffres des indemnisations versées par le Groupe qui sont volontairement rendus publics sur son site internet.

Irène Frachon a clairement posé la question « combien de morts ? ». Peut-on répondre à cette question ?
Nous sommes profondément convaincus qu’un seul mort est un mort de trop. Dans le cadre des procédures judiciaires et de la procédure ONIAM, une trentaine de cas ont été en tout ou partie imputés à la prise du produit. Les polémiques autour des extrapolations montrent à quel point le sujet est compliqué et discutable.

Où en est l’affaire aujourd’hui ?
Sur le plan civil, qui intéresse l’indemnisation des victimes, les procédures suivent leurs cours et nous participons activement à ce processus, notamment en proposant des indemnisations lorsque les expertises montrent que cela est légitime. D’autre part, il faut avoir en tête que Servier prend en charge l’intégralité des indemnisations sur la base des impacts définis par les experts indépendants, et que nous avons une équipe dédiée de 8 personnes qui est en charge, au quotidien, de répondre aux questions des patients et de leurs proches. Il n’est pas rare que des patients nous remercient car en réalité, il semble que nous soyons les seuls à les aider au quotidien à s’y retrouver dans les procédures complexes qui ont été imposées par les autorités. Aujourd’hui, Servier a adressé 2019 offres d’indemnisation à la suite d’un avis rendu par des experts indépendants. 1335 patients ont à ce jour accepté, 578 n’ont pas encore répondu et 106 ont refusé la proposition. Ces données sont d’ailleurs publiques et mises à jour mensuellement sur notre site internet.
S’agissant du volet pénal, l’instruction suit son cours.

Pensez-vous que le Mediator soit un cas isolé ?
Les affaires relatives aux médicaments, actuelles ou passées, témoignent de la complexité des médicaments et du système de santé en général. La priorité aujourd’hui est d’améliorer la prévention en matière de santé, pas de désigner un coupable en particulier. Tous les acteurs de la chaîne doivent travailler ensemble à ce même objectif. La démarche doit être collective et individuelle.

Doit-on changer notre rapport au médicament ?
Il ne faut pas oublier qu’un médicament soigne et sauve les patients, et peut même empêcher le développement d’une maladie. Il faut néanmoins garder en tête que le médicament est un produit à utiliser avec précaution. Les médecins et pharmaciens ont un rôle essentiel, qui est de renseigner les patients sur les risques et les effets secondaires potentiels d’un médicament et de fait, de les accompagner dans le choix du produit qui sera le plus adapté à leurs besoins. Mais les patients doivent également respecter les cadres de l’usage de chaque produit, et être circonspects sur les informations échangées sur les forums internet.

Propos recueillis par Tiphaine KERVAON

A lire aussi
– Interview du Dr Irène Frachon, pneumologue à l’Hôpital de la Cavale Blanche de Brest
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