L’Ecole des Filles au Huelgoat s’affirme depuis quelques années comme un lieu fondamental. Plus qu’un musée il s’agit d’un creuset où les artistes de toutes spécialités échangent entre eux et font partager leur savoir, leur talent ou leur génie (parfois les trois à la fois !) à un public exigeant et cependant enthousiaste et conquis.

Cet été 2012, ouvert avec la venue de Mona Ozouf, continué entre dix autres par des interventions d’Alexis Gloaguen, de Marc Le Gros, de Matthieu Dorval, de Claire Fourier ou de Jean Bescond a été particulièrement brillant.

Gilles Cervera a l’excellente idée de rendre ici hommage à cet endroit et à l’esprit exceptionnel qui y règne.

 Alain-Gabriel Monot.


Savez-vous qu’il est une école où les fenêtres ouvrent grand sur le vert des frondaisons ?

Savez-vous que les dites frondaisons passent au croisillon des fenêtres de la dite école et racontent une histoire de vallée sombre, de grottes d’Artus, de pont rouge sur des rivières d’Argent, bref des histoires de clair et d’obscur.

Savez-vous qu’il est une cour de récréation qui porte ce nom au plus haut, la ré-création, avec allée de tilleuls et mur du fond ? Avec sous le préau des tables rouges où s’assoient les arbres, les amoureux des arbres et par là même des âmes aussi, transformées au passage par cette école ?

Savez-vous que, pas très loin, mais juste assez pour que cela apparaisse au plus imaginaire des géographies, une école tient dans ses dortoirs des lits clos de toutes formes et de toutes beautés, les uns du pays vannetais, les autres du Poher ou du Léon, savez- vous que dans ce dortoir les lits clos encadrent des tableaux et savez-vous que ces lits clos ainsi proposés en nombre sont propices à nouveau à tous les rêves et à tous les réveils, enclosant donc leurs couleurs d’aube en plein soir ?

Savez-vous que l’école ferme après l’été et ouvre à son début, à l’envers des écoles ordinaires ?

Savez-vous que dans cette école des générations de filles ont été instruites, pas à la couture ni à l’ennui domestique, mais à la culture, et ça se voit aujourd’hui quand elles s’en reviennent et témoignent ?

Savez-vous que cette école des filles du Huelgoat est habitée par Françoise Livinec, galeriste de son état ? Adoubée d’abord à Paris, avenue de Matignon où le reste du temps elle donne à voir ses cimaises et, revenant pour l’été dans le pays de sa grand-mère, osant dans l’école quoi ?

Une galerie, pas seulement ! Un musée ? Bien plus vivant !

Un lieu, voilà, un lieu de liens !

Cette galerie dite l’école des filles a quatre ans d’âge et 100 ans d’utopie ! L’adjectif en découlant n’est pas utopique, mais utopien ! Car Françoise Livinec s’entoure d’artistes évidemment mais elle travaille aussi avec des historiens (Mona Ozouf y est de plus en plus chez elle dans cette école de retrouvaille !), des écrivains, des poètes (Armand Robin par Yann-Fanch Kemener il y a peu), des musiciens et pourquoi pas des miss France s’il se trouve que l’une des dernières est originaire de Brest même et a écrit un livre !

Françoise Livinec a installé dans l’école des filles une forêt d’artistes connus, qu’elle défend autant que des plus inconnus. Tal Coat est là, il a sa classe ! Colette Deblé a la sienne, René Quéré n’est pas loin, ni Dilasser, ni Loik Le Groumellec dont l’œuvre montre ici toute sa puissance, tellurique voire tellurienne ?!.. Je dis Le Groumellec à cause de cette noirceur cirée de ses formes qu’on dirait extraites du chaos d’en dessous ou des bords de Brignogan. J’aurais pu nommer cette année dans l’expo Pierre qui roule, juste terminée, nommer les encres de Lapicque, son écriture hermétique ou le bestiaire doux de Valérie Guillet. D’aucuns pourraient trouver que de classe en classe, l’amateur mateur y trouve du disparate et des rapprochements saugrenus, des chocs temporels hasardeux, des proximités improbables ! Quéré, Le Saëc, Zuka, eh bien, non, c’est à mettre au compte du passé pédagogique de ce lieu ou plutôt de son initiatrice.

À coup sûr cette confrontation d’espace et de temps qui permet à tant de gens de revenir à l’école des filles, au Huelgoat, depuis quatre ans.

On mange sous le préau, on cause d’art avec des voisins de table jusqu’alors inconnus, on trouve à dire qu’il faut y retourner car tiens, cela, je ne l’avais pas remarqué ! Ce qu’on mange à l’école des filles, il faut le dire, mérite aussi l’arrêt. Françoise Livinec a traité avec des traiteurs hauts de gamme et on mange là des cuisines venues des meilleurs pianos de Bretagne.

Après ces bons déjeuners à l’heure qu’on veut, ce qui est, convenons-en, assez rare dans ces terroirs, on voit des gens revenir sur leurs pas et retourner y voir ! Huelgoat, notre Bilbao, on peut y passer la journée : rien n’empêche de suivre à travers les carreaux de l’école l’invitation des arbres et de descendre faire bouger la roche tremblante ! Huelgoat, notre Louvre Lens, notre Beaubourg Metz, il se peut que Françoise Livinec ait fomenté un lieu inédit ! Un lieu de magie à mettre sans doute au compte des contes de Victor Segalen…. L’art ici loge dans les bois hauts, uhel goad, et déloge illico vers l’universel comme Segalen, le poète des Stèles.

Le Huelgoat, vérifiez des fois que ce nom apparaisse encore plus haut, après ce tour que vous ferez dans ces cimaises blanches, au dessus des longs lavabos un peu moches devenus beaux, dans ces salles d’écoute où témoignent en bande son les anciennes écolières, dans cette cour où les tilleuls n’invitent pas au repos mais au désir !

La salle de classe devenue librairie témoigne d’un travail éditorial de qualité. Quand le peintre des bleus Matthieu Dorval rejoint le Solo de Grall, il n’y a pas que le L final de leurs patronymes qui s’enrichissent ! Le livre d’artiste que les éditions Françoise Livinec produisent touche exactement au cœur des mots et à celui des couleurs : les voyelles rimbaldiennes n’ont plus ici quoi que ce soit à redire.

Il nous faudra attendre l’été prochain pour savoir quel temps il fera au Huelgoat. L’hiver ne sera finalement pas si long !

Évidemment que vous le saviez que l’école des filles du Huelgoat est enchantée puisque vous êtes 10000 à y être allés cet été : 10 000 visiteurs d’arts au Huelgoat !


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