Georges Guitton livre un livre aux PUR et cela fait événement. Parce que ce journaliste de Ouest France est connu de presque tous les rennais et que son écriture nous manque. Dont son écriture sur l’écriture.
Il réussit dans cet ouvrage à écrire un anti-livre qui se lit comme un roman. L’histoire de Rennes sur son verso, celle des écrivains à Rennes, or il n’y en a pas ! Rennes n’a pas son Modiano de Paris, ni son Guilloux briochin, son Le Clézio niçois ou son Jouhandeau chaminadouresque (ou guéretien) ! Point de Forme de la ville dont Gracq narre Nantes, la pare. Ici aussi, la concurrence est rude et Nantes a Gracq !
Point de forme écrite à Rennes, sauf des passages, des rencontres furtives, des séjours courts : un quart d’heure pour Kerouac à la gare de Rennes. Le beat est pété, complètement, et cherche sur les quais de quoi continuer d’étancher sa soif. Il revient vers le pays de son nom, il foire tout, donc ce retour aussi. Satori est un magnifique récit, à lire et relire, dont Rennes tient le quart d’heure, celui de la soif.
Levinas vit à Rennes, mais en captivité ! Assigné à résidence. Ses souvenirs de Rennes seront donc un peu…. conditionnés. Kundera est en exil et il n’a de cesse de penser depuis les Horizons d’autres horizons, des villes multiples, des ouvertures et du sens : le plaisir et l’oubli. Rennes sent le renfermé pour ceux qui y signent leur séjour. Il n’y a même qu’à relire les pages au vitriol du préfacier de Georges Guitton, Philippe Le Guillou, qui depuis le Faou a trouvé à Rennes tellement de morne de tassé et de compassé, qu’il en revient toujours à son Faou, sa forêt et l’estuaire baigné de sacré.
Le Guillou a lu le livre de Guitton comme un roman. Vif, aux chapitres découpés, cut up réussi où l’on décrypte Genet, et son dieu maudit, Maurice Pilorge dont il fait tomber, au petit matin gris des exécutions capitales, la tête dans un panier briochin. Tout le monde le croit sur parole, car l’écriture de Saint-Genet borne aussi le sacré. Or c’est faux. Il n’en est rien. Pilorge, l‘assassin dinardais, beau comme un dieu genetien, est exécuté à l’aube, en public, à la prison Jacques Cartier. S’ensuivra, après encore une exécution quatre mois plus tard, un décret interdisant que cela soit offert au public.
Rennes est ainsi, on n’y écrit pas ou peu, on la prend pour une autre. N’était Paul Ricoeur, dont l’enfance est rennaise. Chez ses grands-parents, boulevard de Sévigné et courant ensuite vers les quartiers populaires du sud. Il s’en souviendra lorsqu’il sera vieux et qu’Edmond Hervé ou le philosophe Jérôme Porée l’inviteront à se souvenir. Ricoeur est sans rancœur, suffisamment rare pour le noter.
A contrario, Violette Leduc est venue à Rennes et son souvenir est cuisant. Sans doute émargé sur une main courante. Séquence sulfureuse et Rennes aurait préféré que pas ! Les trois lycéens de St Vincent qu’elle emporte avec elle dans son rêve insensé de jeunesse et d’ivresse, c’est place de la gare à l’Hôtel du Guesclin que se noue et se joue « l’arachnéen ». Le scandale est scandaleux. Tellement que les parents ne portent pas plainte et qu’aujourd’hui encore les lycéens devenus vieux continuent de témoigner de manière anonyme. Rennes est pudique, le contraire de l’encre écrivaine et du tremblé rimbaldien (ou Angotesque !).
Georges Guitton est un journaliste et un lecteur précis. Il croise, il recoupe, il entend les témoignages, les derniers témoins témoignent. Il écrit l’anti roman de Rennes. Presque avec rien, il nous emporte. Presque avec cette ville à l’envers, il en montre des endroits. C’est, comme disaient les anciens instituteurs, un exercice à trous !
Livre à lire, indispensable même pour voir ce qu’on ne voit pas, depuis les Lices jusqu’à l’absence des plaques – celle de Georges Duhamel qui est venu ici pendant la guerre et dont le pavillon à Pontchaillou porte le nom a été rangée au magasin des accessoires. Herbart, le libérateur rennais, son nom est refoulé, aucune mention nulle part ni à Céline. Louis Ferdinand, le grand, le honteux, le majuscule casseur de phrases, le concasseur de mots, l’équarisseur des pointillés, le géant Céline qui a passé sept ans sur les quais, qui sinon Georges Guitton pour nous indiquer ses fenêtres ou, donc, apercevoir depuis l’autobus, boulevard de Vitré, la mansarde où Robert Merle corrigeait Week-end à Zuydcoote (prix Goncourt 1949).
Rennes méritait ce livre. Guitton l’a écrit, c’est un livre où la capitale bretonne n’est pas que « moche » comme le dit Kundera mais apparaît comme blancottée sous des œuvres écrites ailleurs, sans allusion ni illusion rennaise. Les rennais les lisent. Dans les salles de bibliothèque, nombreuses à Rennes, dans le silence des salons ou le huis clos des études de littérature comparée !
Georges Guitton, Rennes de Céline à Kundera, Préface de Philippe Le Guillou, PUR, 18 €