Journal de vie d’un soldat qui va mourir HermineHermineHermineHermine

Un gros livre pour l’été. Pas pour la plage et pas que parce que son poids pèse, ni pour les arpions écartés ou la crème solaire en marque pages. Gare à la clim, ne pas craindre les chauds effrois.


Journal de vie d’un soldat qui va mourir

Il s’agit d’un livre d’un gars de Pont-Aven. Son journal de mort, c’est du lourd, on en connaît d’avance la jauge et la durée : première et dernière œuvre. La tragédie est tragique, connue par mille témoins et analysée sur des centaines de pages scientifiques, historiques ou tissant romans, de Dorgelès à Echenoz. Il n’en reste que Milec, le soldat méconnu que publie Vagamundo nous devient indispensable.

Quatre ans à écrire chaque jour. Quatre automnes et quatre hivers aussi pour le gars Milec, parti de Pont-Aven, revenu pour quelques perms, et revenu jamais, si vous entendez ce que jamais veut dire. Lettres dorées sur monument partagé, liste des morts, et pourquoi, pourquoi diable tant de bois sur le billot des hommes.

Milec est parti comme les autres. Illico mué en patriote. Résumé de cela par l’auteur lui-même, le 22 octobre 1917, réjoui de (re)voir un train! Milec a une réminiscence de son passé si vite passé : 8 Août 1914 – Pris comme tous les camarades d’une folle ardeur patriotique, je me voyais déjà à Berlin me pavanant en vainqueur sur les plus jolis boulevards Boches- Je me rappelais ce long voyage qui parut court à cause des acclamations enthousiastes dont nous fûmes l’objet pendant tout le parcours – Je revoyais à la fin de notre terrible retraite notre embarquement à « Compiègnes » pour la « Somme ». Et savez-vous après ça combien de temps nous restâmes sans voir ni entendre parler de ce genre de locomotion. Dix mois, Bonne Marraine. Dix Mois ! C’est à ne pas y croire – Aussi quand on nous parla de permissions 1er) personne ne voulut l’admettre et 2ème) on se demanda par quel moyen de transport on nous enverrait dans nos foyers, car vu le temps, on s’était permis de croire que ce moyen de transport n’existait plus – Indescriptible fut ma joie en entendant siffler et surtout en voyant les machines- J’étais presque tenté de toucher, de palper pour voir si c’était réel – On nous fit attendre au moins quatre heures debout avant de nous faire monter, mais à cette époque trop heureux de partir et encore militaires dans l’âme personne n’avait l’idée de manifester sa mauvaise humeur- Quand nous fûmes en voiture, fous de joie, nous nous mîmes à sautiller sur les banquettes en agitant les bras et en rabâchant à la manière des bébés : « Dans le train, dans le train ! C’est tout juste si l’on ne se disait pas : En pouff pouff ! en pouff pouff ! À Dada ! à dada !- Ce n’est pas croyable et pourtant vrai ! 

Stoppons  ce train de mots. Lisons Milec, cet homme dont l’exercice littéraire quotidien fabrique petit à petit une littérature, d’abord hasardeuse ou naïve et finalement chantournée, expérimentée, singulière.
Sa Marraine de guerre (de sa paroisse !!) est la destinataire des récits. Ils ont cette vertu vaguement thérapeutique de le faire supporter l’insupportable. Milec est infirmier et il voit tout, tout du pire, tout des amis qu’il perd, cette armée bretonne de ses amis.

Il confie au journal, au quotidien, qu’il ne se passe souvent rien –Aujourd’hui rien de particulier, et à sa marraine dont l’art en creux –on ne lit pas ses lettres ! est de repousser les avances de Mijec, de taire les élans que la solitude et l’éloignement excitent et de susciter le récit, accompagner l’éloignement et amortir l’horrible : par l’écriture.

Milec écrit aussi à nombre de connaissances, aussi à ses parents. Il écrit comme on enverrait des mails ! À Sevellec, le peintre Jim enterré à Camaret. Milec est proche du chansonnier Botrel dont il reçoit un poème. Milec s’avère lettré, son écriture de guerre avère un écrivain. Ce destin de 18 est un destin de mort, nos grands-pères en sont revenus mutiques sinon muets, leur silence était du granit dont on fait les tombes –et souvent vides. Milec, comme d’autres, ont parlé pour eux. Parce qu’il était infirmier, il avait ce recul, cette distance du soignant. Placé sur le bord intérieur, il pouvait s’ennuyer sévère, donc écrire ou regarder, notamment une maison, moins belle qu’en Bretagne note-t-il, ou cette chapelle avec ses jolis vitraux, criblés de balles ! Il gardait en lui cette possibilité de l’esthétique comme Apollinaire ou Vaché. Comme, parmi tant, Mathurin Méheut dont les dessins de tranchées nous fascinent.

Lire ce livre qui ajoute au corpus de 14/18 sa part à la fois sensible et scientifique. L’iconographie enrichit le texte, notamment les cartes adressées par le soldat Milec au dos desquelles il écrit. Milec, le soldat méconnu est une  recherche à part entière, d’ailleurs soutenue par la mission du Centenaire et la Région Bretagne. Soizick Le Pautremat, l’auteure, a réalisé un travail autant précis qu’exhaustif.

Emile Madec dit Milec est enterré dans la nécropole nationale d’Oeuilly-sur-Aisne. Son nom est inscrit en or parmi les cent quatre du monument de Pont-Aven. Milec avait un destin de peintre, peut-être de photographe ou en tout cas d’artiste. On enrage comme il a souvent enragé au beau milieu de son journal : « Deux années de caserne à Brest, bientôt trois ans de guerre- Je vais donc avoir 26 ans – 26 ans vraiment je ne peux me décider à croire que j’ai cet âge. Ma petite taille, l’absence de mes moustaches, tout enfin m’en empêche. Ah ! Un petit détail qui peut avoir son importance, je suis un peu moqueur, la plaisanterie ne me déplait pas. »

La guerre en plein milieu de cette fichue plaisanterie. 



Milec, le soldat inconnu de Soizick Le Pautremat aux éditions Vagamundo, 512 pages, 29€

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Edito

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