Noire la mer, noire aussi la campagne.

 

 Ce n’est jamais sans grande appréhension que l’on aborde un polar ou même un roman noir labellisé breton ! On sait assez que ce genre littéraire, initié avec brio par Jean-François Coatmeur, continué, non sans génie par Jean Failler, talentueusement prolongé par la sympathique tribu des écrivains de la collection Léo Tanguy, est, hélas, également pollué par quantité de désastreux plumitifs. Sans parler des plumitives … Ces dernier(e)s usent du commode prétexte d’ouvrages a priori assez faciles à écrire pour narrer petitement des meurtres en série sur fond médiocre de péripéties villageoises. Il en résulte une manne considérable de livres nuls qui littéralement labourent le paysage breton , de Fougères au Conquet, de Dinard à la Brière. Cette grande boue infra-littéraire aussitôt écrite, aussitôt publiée par des « éditeurs » sans foi ni loi, aussitôt encombrante aux présentoirs des gares, aussitôt oubliée, donne du travail aux imprimeurs. Tant mieux pour eux. Mais la littérature ne trouve jamais son compte à ces mauvaises rédactions d’étonnants élèves de CM 2, quadra, quinqua ou sexagénaires. : style poussif sans jamais l’ombre d’une grâce ni l’espoir d’une originalité, lourdes ficelles narratives que l’on croirait sorties d’un livre de recettes, clichés pis que poussifs.

Ce très maussade constat étant dressé, laissons-nous agréablement porter à rebours par le plaisir réel que procurent deux romans tout juste parus aux Editions des Ragosses – sises à Rennes – lesquelles inaugurent par ces publications  leur nouvelle collection de romans noirs, la «  Noire des Ragosses ».  Les responsables de cette maison ont, il est vrai, fait appel à deux écrivains confirmés : Alain Jégou et Jean Kergrist. Le premier dans Ne laisse pas la mer t’avaler construit avec talent et un indéniable bonheur d’écriture l’histoire du début d’une « carrière » de marin pêcheur.  Entre Lorient, ville reconstruite peinte à l’encre noire et Doélan, petit port finistérien – le romancier Paul Guimard y avait une maison à l’aplomb direct des flots-, un apprenti matelot apprend dans la douleur la vie littéralement abominable qui est celle d’un pêcheur breton. Alain Jégou n’invente rien, puisque c’est rien moins que son métier qu’il raconte. On a donc, lisant ses lignes fortes, viriles et cependant sensibles, la sensation presque physique d’embarquer avec lui, dans des petits matins déchirants, labourés de tempêtes, au péril toujours du naufrage et de la mort atroce dans l’eau glacée.  En écho à cette confrontation avec la vie à bord d’un navire de pêche, le livre dit aussi la difficulté pour un jeune couple à vivre ces horaires décalés, ces nuits finies avant d’être presque commencées, le mélange de grandeur et de souffrance que la mer toujours prompte à avaler, impose à ceux qui vont sur elle – et à leurs proches.

Le second ouvrage, Grosse déglingue, n’est pas moins talentueux. On connait Jean Kergrist comédien, « clown atomique ou agricole », auteur de contes et de films, homme de télévision sur ArMor TV.; On découvre ici le romancier caustique, flétrissant à bel enthousiasme «  le monde comme il va », c’est-à-dire fort mal. L’écrivain mêle avec une remarquable habileté la colère qui profondément l’habite face au spectacle délétère de l’opportunisme et du cynisme d’un homme politique local en mal de réélection et l’humour décoiffant – lequel sauve son ouvrage du pédantisme d’un roman à thèse. Car on s’amuse avant tout chez Kergrist. On pense, le lisant avec délectation, au titre potache et cependant empli de vérité douloureuse de Boris Vian : Et on tuera tous les affreux. Le vernis de l’ordre et de la respectabilité n’en reviennent pas d’être ainsi mis à mal par l’auteur installé en Kreiz Breizh, lequel fustige avec allégresse toutes les hypocrisies et tous les autoritarismes des potentats locaux qui régentent nos villes et nos campagnes. Trahisons, lâchetés, malhonnêtetés inondent donc pour notre plaisir indigné ces pages sulfureuses et désopilantes ; On n’oubliera pas enfin de s’arrêter sur la peinture de couverture, extraite d’un tableau de Jean-René Ghéroldi : lourde, crue, douloureuse, violente, elle est d’un moderne Van Gogh, celui du dernier jour qui se tire un coup de fusil au ventre et balbutie avant juste de succomber  «  Je m’emmerdais trop, alors je me suis tué ». Tout est dit.

 

                  

 Alain Jégou, Ne laisse pas la mer t’avaler

 Jean Kergrist Grosse déglingue     

 .

 

 



« grosse déglingue » et « ne laisse pas la mer t’avaler » aux éditions des Ragosses, Rennes, 2012, 11, 40 euros

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