Gravity HermineHermineHermine

Beaucoup de “films catastrophes” sont catastrophiques dans le sens commun du terme : ils sont mauvais. Gravity est un film catastrophique dans le sens propre du mot : il met le bas en haut et le haut en bas. 


Gravity

Les repères qui structurent notre expérience habituelle du monde volent en éclat. A partir de là, et d’un scénario très simple — suite à un accident, deux astronautes se retrouvent à dériver dans l’espace, le cinéaste Alfonso Cuaròn travaille trois motifs: le bouleversement spatial permanent, l’inertie et le choc. Le film gagne ainsi une force rarement atteinte pour nous faire entrer dans l’évocation de notre condition contemporaine.

Dès les premières minutes et avant la catastrophe qui les projettera dans le vide, les deux astronautes passent dans l’ombre de la terre, et se retrouvent à contempler la nuit sur le monde. Les ténèbres de cette face de la terre sont alors traversées de zébrures incandescentes, à la fois réseau de lumières perçant les ténèbres, et incendies géants d’une monde défiguré, en état de recomposition sans doute nécessaire mais ô combien violente.

Ainsi et tel un casque d’astronaute, le film ne cessera tout au long de ce terrible voyage de nous renvoyer notre propre image.

La mise en scène de l’inertie vaut à elle seule le déplacement. Le réalisateur nous met en situation de ressentir la profonde vérité de ce qu’est la vie sous de telles lois : loin de constituer une trajectoire paisible (telle une vie de confort et soucieuse de quiétude), il s’agit bien au contraire d’une terrifiante dérive, sans attaches possibles avec notre milieu, sans volonté intérieure (gestes absolument sans effets). C’est une force invisible qui, continuellement, nous déporte de toute relation avec les objets et les êtres, et dont le danger est cependant excessivement réel. Car en dehors de l’asphyxie certaine à laquelle elle aboutit, l’inertie tue également par les téléscopages occasionels des corps dérivant qui viennent à croiser leur trajectoires. En effet, la vitesse réèlle de la dérive, redoutable parce qu’indiscernable, produit des impacts d’une violence inattendue et extrême.

Position morale ou cahier des charges hollywoodien, Afonso Cuaròn ne se complaît pas dans le constat de destruction. A travers la trajectoire de son personnage (Sandra Bullock alias dr Stone) il choisit de montrer un cheminement vers une renaissance possible, et ça n’est pas la moindre des qualités du film.

Le personnage du docteur Stone porte en effet un drame terrible. De ces drames dont l’ampleur défait littéralement l’existence du « plancher des vaches ». Depuis ça, elle dérive continuellement dans l’orbite de ses propres limbes. Comment donc rentrer chez soi, comment même vouloir y revenir, une fois disparu ce qui structurait la vie d’avant et nous faisait tenir debout sur la terre et parmi les hommes ? En suivant les trajectoires brisées et contraires de son personnage, le cinéaste montre le lent et périlleux chemin vers un retour à la vie.

Un ami imaginait la notion de post-modernité comme suivante: une non-coïncidence avec sa propre existence. Etre pris dans un mouvement qui entraîne à ne pas se rencontrer, à ne pas faire face à sa propre vitalité, à son propre désir, et de là à se trouver dans l’impossibilité de pouvoir exercer sa propre responsabilité. Cuaròn met en scène le formidable dégagement de cette spirale par une femme blessée, qui bien que prise dans un bouleversement majeur du monde, soumise à des lois mécaniques presque insurmontables et heurtée par des chocs inouïs, parvient en tournant son visage vers la terre, à faire face, dans le même geste, à son existence et à celle des autres.

C’est pourquoi les dernières images sont bouleversantes, cette fois au sens lumineux : en faisant le choix de ce retour sur terre, la professeure Stone se met en situation d’accueillir d’une manière inédite ce qu’est le monde, dans sa beauté si ancienne et si neuve. Cette terre trop longuement observée en coin et à distance, elle y pose un regard et un corps délivrés des voiles et des poids qui les entravaient. Plaçant maladroitement des pieds ayant désappris la gravité, elle trouve le moyen d’y refaire ses premiers pas, portant par là même toutes les chances de marcher sur la Terre d’une façon convalescente, enfin propice à tout reconstruire.

 



Gravity, de Alfonso Cuaròn avec Sandra Bullock et George Clooney

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Edito

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