Fil d’immigrés italiens venus des montagnes, Gérard de Cortanze a passé une partie de son enfance en bord de mer, à Saint-Pierre Quiberon. Sa verve romanesque n’a d’égale qu’une immense érudition. Dans son nouveau roman, il raconte l’un des mouvements culturels majeurs du XXème siècle : les Zazous. Traqués par les nazis, pourchassés par les collaborateurs, rejetés par la Résistance, les zazous n’espéraient pas tant changer le monde qu’empêcher qu’on ne leur confisque une liberté mise à mal. Bretagne Actuelle a rencontré le romancier à Paris. 


Jérôme Enez-Vriad : Quel lien existe-t-il entre l’actualité et votre livre ?
Gérard de Cortanze : A priori, aucun. (Sourire) Mes livres ne sont pas des romans historiques, ils ne racontent pas l’Histoire avec un grand « H », mais plutôt le rôle d’un événement dans l’Histoire. Ce sont les anecdotes et les remous sociaux d’hier qui, par renvoi temporel, parlent le mieux du présent.

Le mot  Zazou vous ressemble. Il fait son chemin discrètement, sans bruit ni tapage…
GdC : Pour qu’un mouvement (culturel ou social) passe à la postérité, il a besoin d’une image de référence, en général celle d’un leader. Les zazous n’en avaient pas. Aucune impulsion de groupe ni de meneur. Ces adolescents refusaient juste que la guerre menace leur jeunesse et, sans directive commune, fonçaient bille en tête face au refus de l’ordre établi. C’est l’une des raisons de mon livre : remettre les zazous à leur place historique.

Ni chef, ni porte-parole, est-ce la raison pour laquelle la musique fut leur catalyseur ?
GdC : Peut-être. Vous savez, les plus grands mouvements culturels ont souvent la musique pour genèse. Remontons l’histoire. Cab Calloway donne en 1933 un concert Salle Pleyel, durant lequel il chante Zaz Zuh Zaz qui deviendra un immense succès. Cinq en plus tard, en 1938, Johnny Hess (qui vient de rompre avec Charles Trenet avec lequel il formait le duo Charles & Johnny), enregistre Je suis swing dont le refrain est « zazou zazou zazou ». La mode est lancée, on danse et on chante le swing sur des refrains « zazous ».

Existe-t-il aujourd’hui un mouvement musical d’aussi grande influence.
GdC : Chaque époque a sa sonorité. Les premières images qui me viennent sont les  yéyés des années 60, puis la Pop Musique des 70’s et, bien entendu, l’avènement du Disco. Trois élans musicaux qui ont révolutionné trois générations.

Quid du rap et de la techno ?
GdC : Le Rap n’a rien à voir avec cette logique. Il est plus identitaire et moins consensuel.  Le swing et la musique zazoue étaient joyeux, gais et bon enfant. S’en dégageait un réel bonheur de vivre. Quant à la techno, elle ne rompt pas vraiment. Le swing est aux années 30 ce que les yéyés furent aux 60’s : une rupture culturelle, alors que le techno est davantage le prolongement de ce qui a précédé.

En fin de compte, qu’est-ce qu’un zazou ?
GdC : Quelqu’un qui refuse la peur et les entraves pour faire de son excentricité une résistance.

N’est-ce pas ce que vous êtes ?
GdC : J’ai toujours refusé que l’on me mette dans un tiroir. Cela vient sans doute de très loin. De l’exil. Mes deux parents sont Italiens et enfant j’étais « le spaghetti ». Il y a aussi la double généalogie. Fils d’aristocrate piémontais du côté de mon père, et fils d’un maçon napolitain descendant de Fra Diavolo, bandit de grands chemins, du côté de ma mère. Pour les gens de droite, je suis un rouge et inversement pour ceux de gauche. Alors chacun y verra ce qu’il voudra. L’essentiel est ailleurs.

Dans vos livres ?
GdC : Je confirme. (Large sourire) On apprend davantage sur moi à travers le choix de mes sujets et la manière dont je les traite, que sur ma fiche Wikipédia en partie erronée.

Parlez-vous de la Bretagne dans vos textes ?
GdC : Non seulement, mais j’ai aussi passé une partie de mon enfance à Saint-Pierre Quiberon. Mes parents y louaient une vaste maison sur le port durant les vacances. « Mère Duick », je la surnommais ainsi, nous accueillait après que son fils soit venu nous chercher à la gare en voiture tirée par un cheval ! Le soir, elle me racontait des histoires de naufrageurs qui m’empêchaient de dormir. Elle m’offrait des petits verres d’alcool et du far breton !  Je suis intarissable sur ces souvenirs.

(Cette fois, c’est moi qui souris) Je vous en prie, poursuivez…
GdC : Tout revient chaque fois en vrac. Par exemple, les promenades sur le chemin des douaniers. Il y avait également ces bateaux bénis par le prêtre avant de partir au long cours.  Et puis, ce jour sur l’embarcation du fils de la mère Duick… Au loin flottait une drôle d’épave. Nous nous approchâmes. Le cadavre d’un homme était tombé à l’eau. Nous l’avons ramené attaché au bout d’un filin. J’évoque rarement ces souvenirs… (Gérard de Cortanze marque une pause) … Pour répondre à votre question précédente, plusieurs de mes livres évoquent la Bretagne. Parmi eux : Les enfants s’ennuient le dimanche, dans lequel figurent des photos de Saint Pierre Quiberon ; mais aussi La Trilogie Familiale : Spaghetti – Miss monde – Gitane sans filtre ;  et, plus récemment, De Gaulle en maillot de bain.

Revenons aux zazous dont on oublie souvent qu’ils ont lutté face à l’occupant nazi…
GdC : Les zazous étaient la bête noire des deux autorités, françaises et allemandes. J’ai retrouvé dans la presse collaborationniste des centaines d’articles dans lesquels on les traitait de « négroïdes-juifs dégénérés » (sic) ! Appelant à les « scalper », à les « écraser comme des cafards », à les « exterminer » jusqu’au dernier.

Pourquoi leur existence est-elle à ce point diluée dans l’histoire ?
GdC : La Libération a réécrit la mémoire collective pour réconcilier les Français entre eux. Les manuels scolaires ne retiennent que la résistance gaulliste et communiste. Or, les zazous ont aussi fait leur part de travail. Certes, d’une manière plus légère, moins agressive, pour autant certains risquaient leur vie et, comme me l’a confié un jour Valéry Giscard d’Estaing, leur côté jovial et accessible « donnait de l’espoir aux français ». Ils ne résistaient pas dans l’ombre mais sous les yeux de tous.

Par exemple ?
GdC : Il y avait chez les zazous une résistance quotidienne nourrie d’actes en apparence anodins. La majeure partie d’entre eux n’en tira d’ailleurs aucune gloire officielle. Certains perturbaient les séances de cinéma dont les films allaient dans le sens de l’Occupation, d’autres interrompaient les représentations théâtrales auxquels assistaient l’occupant, ils dessinaient dans la rue des croix de Lorraine, écrivaient sur les murs des « V » de la victoire, s’habillaient en bleu-blanc-rouge le 14 juillet, ils furent aussi les premiers avec les lycéens parisiens à défiler le 11 novembre 1940, remontant les Champs-Elysées pour déposer une gerbe sur la tombe du soldat inconnu. Mais le plus vibrant de tous leurs gestes fut sans doute de recouvrir leur poitrine d’étoiles multicolores sur lesquelles était inscrits : Juif, Zazou, Swing, Goy, etc. Excentrique et ingénu au début de la guerre, le zazou est totalement conscient de ce qu’il fait à la fin. 

Etre zazou relève donc d’autre chose que de boire de la bière à la grenadine et porter de longues vestes à carreaux ?
GdC : Absolument. Les zazous existaient avant la guerre qui leur a permis d’acquérir une conscience politique. Ils avaient compris qu’en dansant le swing et en continuant de se réunir dans des endroits publics : cafés, théâtres, salles de cinéma, leur visibilité gênait l’occupant et entravait l’Occupation. Notons que leur accoutrement attirait l’attention de l’ennemie. Ce n’était pas seulement une coquetterie vestimentaire, plutôt un réel engagement parfois très dangereux.

Vous dites : Les zazous, c’est le « swing ». Qu’est-ce que le swing ?
GdC : « Le swing n’est pas une mélodie, le swing n’est pas une maladie mais aussitôt qu’il vous a plu, il vous prend et ne vous lâche plus », chante Johnny Hess ! Plus sérieusement, le swing est une musique de jazzmen blancs, très située dans le temps : entre 1930 et la fin de la guerre, après laquelle il fut remplacé par le be-bop. Il s’agissait d’une musique exubérante, indisciplinée, qui ne ressemblait à rien de connu. Véritable choc sonore pour l’époque.

Etes-vous « Swing » depuis l’écriture du livre ?
GdC : Impossible désormais de ne pas dire que je suis « swing » ou « zazou ». Cette étiquette va me coller à la peau. Une de plus ! Dans le droit fil de ce que j’ai toujours été : profondément réfractaire, indépendant et libre.

Si vous aviez le dernier mot, Gérard de Cortanze.
GdC : Je souhaiterais qu’un vaste mouvement zazou renaisse en France. Une France qui danse le swing. Une France joyeuse. Fraternelle. Une France debout, non pas seulement la nuit à Paris, mais aussi le jour en Province. 

© Jérôme Enez-Vriad pour Bretagne Actuelle – Paris, Juin 2016.

Zazous
Un roman de Gérard de Cortanze
544 pages – 22,50€
Editions Albin Michel


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