Gary Numan est une artiste rare, surtout dans les médias français où il s’exprime peu. Bretagne Actuelle l’a rencontré à l’occasion de sa participation sur un titre du nouvel Album de Jean-Michel Jarre. Rencontre avec le pionnier de l’électropop et du rock industriel : Gary Numan. Interview exclusive en direct de Californie. 


Jérôme Enez-Vriad : Vous êtes très connu au Royaume-Uni, aux USA et ailleurs en Europe, beaucoup moins en Bretagne. Comment expliquez-vous ce déficit de popularité du public breton ?
Gary Numan : Je regrette que l’on ne me connaisse pas davantage en Bretagne, car j’observe beaucoup de groupes et musiciens célèbres chez vous dont la musique n’est pas si différente de la mienne. Certains chercheraient des explications mais peut-être est-ce simplement parce que les Bretons n’aiment pas ce que je fais. C’est une éventualité tout à fait plausible. (Sourire)

Vous avez créé un univers qui vous est propre. Un univers de sons et de bruits. On reconnaît de suite Gary Numan, dés les premières notes. Comment définiriez-vous cette atmosphère ?
GN : Je suis probablement le moins qualifié pour définir mon univers puisque, par essence,  c’est lui qui me définit. J’ai toujours fait en sorte de ne jamais me répéter, essayant chaque fois d’inventer autre chose. Tous mes disques sont différents mais font partie d’un ensemble que j’espère cohérent, et s’ils dégagent un univers particulier c’est malgré moi, en tout cas ce n’est pas étudié.  Mais, pour répondre à votre question, je ne suis guère friand des musiques joyeuses et trop légères. J’aime la puissance et l’obsession. Ces goûts m’ont mené vers des directions spécifiques. Je ne ferai jamais de jazz par, exemple ! (Rires) Je ne saurais pas. Mon fond de travail reste ombrageux. L’essentiel est de ne pas me répéter nonobstant cette fascination du sombre qui reste le fil rouge de mon travail depuis le début. 

Le son et les bruits sont-ils un habillage après la composition, ou est-ce l’inverse : composez-vous à partir de leurs effets ?
GN : C’est un peu les deux. Le son m’intéresse autant que la mélodie, et j’utilise les bruits comme instrument afin de modeler la musique. Ils servent de lien. De liant. De matière. Voilà ce qui m’intéresse depuis que je compose… Depuis 1978… Mes chansons commencent souvent par un bruit en introduction d’une mélodie. Ca fonctionne par permutations, par connections interférentes et c’est réussit lorsque le processus devient inconscient, lorsque l’auditeur entend le bruit comme une musique.

Chaque bruit est donc une note potentielle ?
GN : Tout à fait. Raison pour laquelle je les enregistre en permanence. Auparavant j’avais un petit magnétophone, maintenait j’utilise mon iPhone. Personne n’imagine le nombre de bruits auxquels nous sommes confrontés quotidiennement. Véritable pollution auditive dont je me nourris, très à l’écoute des spécificités qui ressortent de la masse ordinaire et dont je m’accapare comme un peintre découvrirait une nouvelle couleur. Ensuite, c’est un travail de studio très excitant.

Votre dernier album, Splinter, a obtenu un grand succès commercial et une reconnaissance officielle de la profession…
GN : Beaucoup considèrent Splinter comme l’un de mes meilleurs albums, si ce n’est le meilleur. Il a le mérite d’avoir plu malgré un accès difficile. J’y évoque des sujets peu abordés dans la pop music, des sujets tabous, entre autre la dépression clinique.

Vous avez reçu plusieurs prix pour Splinter, mais peu dans votre carrière bien qu’ayant inspiré toute une génération de musiciens…
GN : Disons que j’ai toujours refusé de vivre dans le passé. La splendeur d’hier ne m’intéresse pas. L’essentiel des musiciens arrondissent les angles avec l’âge, ils deviennent accessibles par épure de leur travail, plus doux, plus faciles à écouter. J’ai fait tout le contraire. Ma musique est devenue sombre et agressive à mesure des albums. Certains voient leur créativité se réduire avec le temps, ils tombent dans une nostalgie de leurs succès d’hier au point de refaire la même chose sous un nouvel emballage. (Gary Numan utilise une expression difficilement traduisible : I would rather eat worms than give in to that. Littéralement : Je préférerais manger des vers que d’y céder, que l’on pourrait traduire part : Plutôt me pendre que de céder à une telle facilité !) J’ai aujourd’hui la même énergie, la même curiosité et la même volonté de découverte qu’à 18 ans. Peut-être ce renouvèlement a t-il séduit ceux dont vous dites que j’ai pu les inspirer. 

David Bowie est décédé en janvier. Le connaissiez-vous personnellement ?
GN : Personnellement, non. J’ai eu il y a très longtemps quelques rapides contacts avec lui, comme on peut en avoir dans ce métier, rien de plus.

(On m’avait recommandé d’éviter les questions sur David Bowie. Les journalistes interrogent Gary Numam depuis 40 ans à ce propos. Je craignais d’agacer, pire, d’être discourtois, cependant je poursuivis…)

Je vous pose la question parce qu’on vous a beaucoup comparé à lui. Est-ce justifié ?
GN : Il y a effectivement eut quelques commentaires de cet ordre à la fin des années 70, mais tout cela remonte à loin. Je n’ai depuis plus rien entendu de cet ordre. Vous savez, la moitié des groupes sont aujourd’hui comparés à David Bowie. La presse s’en charge où alors eux-mêmes y font référence, parfois sincèrement, parfois par calcul marketing, tout cela n’a donc plus vraiment de sens ni d’intérêt. Le seul réel point commun que nous avions ensemble est notre accent londonien. Musicalement rien ne sonne pareil, pas davantage visuellement ; quant à nos intérêts en dehors de la musique, ils étaient diamétralement opposés. Donc, pour répondre à votre question, non, la comparaison n’est pas justifiée.

En fait, j’ai toujours pensé que c’est vous qui aviez inspiré Bowie. Pas l’inverse…
GN : Je ne saurai désormais jamais où est la vérité. Je sais en revanche qu’il a très gentiment dit que j’avais signé deux des meilleures chansons de la pop music. Pour ma part, j’aime beaucoup son univers jusque l’album Scary Monsters en 1980. Ensuite, je suis beaucoup moins preneur. Vous savez, il était et reste une dans plus grandes légendes de la pop music, ce que je ne suis pas. La comparaison s’arrête là.

(Je n’ose pas demander les titres des deux chansons évoquées, et change de sujet.)

Parlons de votre collaboration avec Jean-Michel Jarre…
GN : Jean-Michel m’a écrit il y a environ deux ans pour m’expliquer l’idée de son album devenu depuis un dytique : Electronica 1 : The Time Mahcine & Electronica 2 : The Heart of Noise. Il m’a demandé une mélodie, des paroles et bien entendu de chanter le morceau. J’ai aussi travaillé sur les arrangements mais, au final, je ne sais plus vraiment lequel a fait quoi tellement nous nous sommes investis ensembles. J’aime beaucoup Jean-Michel. C’est une personne parmi les plus intéressantes que j’ai rencontrées. Travailler avec lui fut un honneur. Il sait parfaitement ce qu’il souhaite, comment y parvenir et met tout en œuvre pour atteindre son but. Il vous pousse au maximum de vos capacités. Here for you, le morceau que nous avons enregistré, est meilleur qu’il ne l’aurait jamais été sans lui. J’ai rechanté les cessions de cœur jusqu’à obtenir le résultat qu’espérait Jean-Michel, il en avait une idée précise et m’a fait écrire et réécrire le texte jusqu’à ce que ce soit impeccable, en parfait accord avec la mélodie. Jean-Michel Jarre est un excellent coach, attentionné, doué et très intelligent. 

Cela vous a-t-il donné envie de travailler avec d’autres artistes ?
NG : Je n’ai pas de nom qui me viennent spontanément, mais je collabore souvent avec d’autres artistes. Voyez-vous, je suis très passif dans ce type de démarches. J’ai tendance à attendre que l’on vienne à moi sans nécessairement espérer qu’on le fera ; ce qui pourrait être envisagé comme de la présomption alors que c’est tout le contraire : je n’ai pas suffisamment confiance en moi pour aller vers l’autre.

Parmi la production française actuelle, y a-t-il des choses que vous trouvez intéressantes ?
GN : En tant que musicien, je suis attentif à tout, mais sans vraiment m’inquiéter de savoir qui chante, compose, ni d’où vient la musique. Lorsqu’un morceau m’interpelle vraiment, j’approfondis mais c’est rare. En fait, j’écoute probablement beaucoup de musique et de groupes français sans le savoir.

Vivez-vous toujours en Californie et quelle est l’influence de la côte Ouest sur votre musique ?
GN : Je vis en Californie depuis trois ans et demi. Je ne pense pas que l’endroit ait une influence sur ma musique. La petite boite noire créative de mon cerveau fonctionne en autonome partout. (Rires) Elle ne se soucie ni de l’endroit ni de la saison car elle est toujours sombre et ombragée. Les seules influences qui s’y trouvent aiment l’obscurité.

Le lieu n’influence donc pas votre créativité ?
GN : Pas vraiment. Le doute et la certitude sont partout. Tout au moins, les miens. Dans mon nouvel album à paraître en 2017, j’expérimente des chemins jamais pratiqués auparavant. La musique est certainement moins formatée en Europe qu’aux USA où la prise de risque est toujours considérée en rapport avec une rentabilité financière. Ainsi, les films, les téléfilms, la publicité, la musique, tout est possible ici, mais moins novateur qu’en Europe. Pour autant, moins d’innovations ne veut pas dire moins de créations. Cela dit, avec la technologie actuelle, la musique voyage partout très vite. La créativité, l’innovation et leurs influences sont désormais interchangeables du lieu où l’on vit.

Vous êtes Britannique. Le Royaume-Uni va bientôt voter pour ou contre une sortie de l’Europe. Vous sentez-vous concerné malgré la distance ?
GN : Il me semble que se serait une grave erreur de sortir de l’Union Européenne. Cela diminuerait l’influence du Royaume-Uni dans le monde. Certes, ma position est celle d’un expatrié californien, peut-être n’est-elle donc pas objective, quoi qu’il en soit elle est sincère.  

Il y a quelques temps, vous évoquiez la possibilité d’une reconversion dans l’écriture. Où en êtes-vous ?
GN : J’ai effectivement évoqué cette possibilité. J’ai aussi commencé à travailler sur un roman épique, avec des épées, des démons dans un univers de dieux magiques et multiples… (Eclats de rire)… Je lis beaucoup de Fantasy et aimerais parvenir à construire une histoire qui se tienne. Pour l’heure, j’essaie de lier mon nouvel album à cet univers dont deux chansons en sont directement inspirées. Je réfléchis à une possibilité d’interdépendance entre le livre et l’album. C’est un travail phénoménal mais passionnant. 

D’autres musiciens ont écrit sans relier leur texte à la musique, je pense à Nick Cave et Patti Smith, par exemple…
GN : J’ai lu Nick Cave. C’est un grand auteur. Formidable. Intelligent. Mes auteurs favoris restent néanmoins Steven Erikson, Ian Esslemont et Joe Abercrombie.

L’ambiance de ce livre sera-t-elle aussi sombre que celle de votre musique ?
GN : Plus sombre encore ! Le livre sera extrêmement ombrageux. Très violent. Cruel. Sauvage et incroyablement obscur. En fait, très peu de personnages seront sympathiques car il y a davantage à s’inspirer des méchants. C’est d’ailleurs aussi le cas dans la vraie vie, nous avons tous des choses à dissimuler, une honte à taire suite à quelques mauvaises décisions prises, and some hurt caused…

Si vous aviez le dernier mot, Gary Numan ?
GN : Je ne souhaite pas avoir le dernier mot. Je le laisse volontiers car j’ai toujours préféré écouter les autres. Savoir écouter permet d’apprendre plus vite et davantage.

Propos recueillis par Jérôme Enez-Vriad – Mars 2016
© 2016 Bretagne Actuelle & J.E.-V.

Splinter (Songs from a Broken Mind)
Un album de Gary Numan
12 titres en CD et sur plateformes numériques

Electronica 2 : The Heart of Noise
Un album de Jean-Michel Jarre
21 titres dont une participation avec Gary Numan : Here for you
Sortie le 06 mai 2016


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