On l'a dite élitiste, pompeuse, d'un autre temps, inaccessible, austère…Mais les critiques hostiles se voient peu à peu contraints de garder leurs commentaires tant la musique classique renouvelle son audience. Le duo Cordes & Âmes casse les codes avec des influences ibériques et latino-américaines, mêlant hommage aux maîtres du genre et des créations contemporaines. Trois albums et une interview pour s’en convaincre.


La réconciliation (s’il en fallait une !) est mutuelle ! On constate non seulement un retour à la musique classique, toutes générations et tous milieux confondus, notamment grâce à une accessibilité aux œuvres facilitée par Internet, mais également une ouverture grandissante des artistes contemporains aux publics dans toute leur diversité. Festivals en campagne ou itinérants, concerts gratuits dans les écoles, hôpitaux, centres culturels … Nombreux artistes classiques vont au devant de tous les publics, y compris ceux qui ne feraient pas la démarche par eux-mêmes.

Le festival Milasons, du 10 au 28 novembre dans les Côtes d’Armor, illustre ce changement. Les plus grands noms se retrouveront de Moncontour à Plémy : le Concert Impromptu, la Maîtrise de Bretagne, Philippe Hersant, le quatuor Elysée ou encore Marianne Muller… Il s’adressera, fidèle à lui-même, aux enfants de 7 ans à 107 ans. 

A cette occasion, rencontre avec le duo Cordes & Âmes, un couple classique pas classique de musique de chambre régulièrement invité à venir jouer en Bretagne : ils étaient cet été aux Lundis de Camaret-sur-Mer. Olivier Pelmoine (guitariste) et Sara Chenal (violoniste) ont déjà fréquenté plus de 600 scènes en France et dans le monde, et incarnent en beauté cette ferveur classique renouvelée, cette soif de partage qui les mène de scènes en scènes à longueur d’année. Leur musique, nourrie d’influences ibériques et latino-américaines, mêle hommage aux maîtres du genre et création contemporaine. Trois albums sont disponibles sur le site du label Skarbo. Ces deux talents, également professeurs, évoluent aussi en solo et dans d’autres formations. Malgré des agendas toujours chargés, ils multiplient les occasions de rencontrer des publics isolés, via notamment l’association Tournesol (concerts à l’hôpital) ou les tournées Hors Saison musicale (concerts en milieux ruraux).

Bonjour Sara et Olivier, et merci d’avoir accepté de répondre à nos questions ! Comment décririez-vous en quelques mots votre projet musical, l’histoire ou les histoires que votre duo raconte sur scène ?
Sara Chenal (SC) : Toujours des musiques d’émotion viscérale ; l’envie aussi de défendre un engagement de compositeur que nous ressentons aussi profondément. Nous avons la chance de travailler avec des compositeurs et compositrices contemporains aussi talentueux qu’expressifs, et nous sommes fiers de participer à faire vivre leurs créations.
Olivier Pelmoine (OP) : Pas facile à décrire quand c’est la sienne…C’est un projet sur le long terme, rare et précieux, un peu insolite mais qui est venu à nous sans préméditation. Nos deux personnalités sur scène s’assemblent et s’équilibrent sur scène. 
Culturellement, la guitare est réputée plus accessible, et libre que le violon, qui, derrière une image plus élitiste, est un instrument très lié à l’intériorité, à la « corde sensible ». Paradoxalement, ça en fait aussi un instrument très communicatif et ouvert à tous les styles, plutôt moins solitaire et exclusif que la guitare.

Trouvez-vous que vos instruments vous ressemblent ?
S.C 
: Oui !
O.P 
: L’image de la guitare populaire et du violon plus élitiste est assez générale, mais selon moi l’intériorité et l’expression sensible et intime sont plutôt reliées à la guitare, ou plutôt à MA vision de la guitare, donc à ma relation avec mon instrument. Le violon a un impact plus direct et immédiat. D’ailleurs les avis du public sur les images que l’on renvoie vont plutôt dans ce sens. Les deux ont depuis toujours étés utilisés par des musiciens populaires et plus savants. C’est une belle particularité commune. L’instrument et son musicien se ressemblent et au mieux s’assemblent pour ne faire qu’un quand il s’agit de jouer. Mais je rêverais de pouvoir jouer de tous les instruments, donc ne veux pas trop ressembler trop à ma guitare !

Voyez-vous la musique comme un art détaché de la société, ou vous semble-t-elle au contraire porteuse d’un rôle, d’une mission ?
S .C.
 : Mission ! Le détachement n’est nécessaire que dans la préparation.
O. P.
 : Je suis artisan tous les jours et artiste quand il y a partage et communion avec un public. Au mieux évasion, rêve et énergie, au pire un simple divertissement pour passer le temps. L’un comme l’autre sont indispensables à toute société.

Votre musique touche à l’universel, et vous l’avez déjà fait voyager bien au-delà de vos frontières. L’accueil et le regard du public sur votre musique sont-ils différents selon les cultures ?
S.C 
: Oui, selon les salles, villes, pays. Le public est plus ou moins démonstratif, plus ou moins « encodé », les plus francs étant les enfants. Les plus élogieux et reconnaissants les pays africains.  
O.P 
: Oh oui, mais les cultures différentes ne sont pas que délimitées par les frontières (surtout à l’heure actuelle). Les impressions et le retour du public dépendent surtout de l’alchimie (réussie ou pas) de ce moment partagé qu’est le concert.
Avec plus de 500 concerts à votre actif, vous êtes résolument accrocs à la scène. C’est le besoin de jouer d’abord, ou de retrouver le public ?
S.C 
: Il m’est quasi impossible de jouer du violon quotidiennement sans but de préparation de concert ou d’enregistrement. C’est mon unique motivation! A la fois servir à quelque chose et être reconnue. Sinon, ce n’est qu’un instrument, jouer dans ma chambre pour moi ne m’intéresse pas.
O.P 
: Ni l’un ni l’autre ! C’est surtout une envie, un plaisir et une reconnaissance. Une concrétisation du travail artisanal que j’évoquais tout à l’heure.

Comment décririez-vous votre rapport au public, justement ? Êtes-vous plus à l’aise devant un public conquis d’avance ou recherchez-vous le défi de faire découvrir et aimer votre univers ?
S.C
 : Ce n’est jamais gagné d’avance, beaucoup de facteurs sont à prendre en compte des 2 côtés. Fatigue, humeur, confiance en soi du moment, codes, attentes préjugées…
Je me sens à l’aise dans les concerts hospitaliers car je les perçois comme une possibilité simple de réjouir les cœurs sans avoir la crainte de retour techniques. En même temps, briller par la virtuosité me plaît aussi, c’est mon coté « violoniste » et j’ai plaisir à réaliser des partitions difficiles et à les rendre convaincantes.
O.P 
: Un public conquis d’avance, ça n’existe pas ou peu. Si, quand des parents indulgents s’ébahissent devant leur progéniture. Après ça passe (tant mieux…) ! Par contre, c’est plus dur de jouer devant des connaissances qu’incognito.

Après des années de scène, le plaisir et l’excitation sont-ils intacts ? Chaque concert vous offre-t-il son lot d’émotions voire de surprises ? 
S.C
: Oui, pas de routine. Toujours envie d’aller plus loin dans la qualité, creuser de nouvelles idées. Jouer le plus possible sur scène.
O.P
: Oh oui !! Pas encore blasé … sinon stop je pars faire du vin ou du fromage. 

Comment voyez-vous la scène actuelle et la musique en général ? L’argent peut-il tuer l’art ? 
O.P
: La musique de divertissement de masse me désole un peu, trop de tromperie et de foutage de gueule. C’est d’ailleurs ça qui « tue » l’art. L’argent n’y change rien.

Le fait que la musique classique reste considérée comme élitiste, « intello » ou destinée aux plus privilégiés vous semble une fatalité ou un préjugé qui peut et doit disparaître ? 
S.C
: J’ai vraiment l’impression que beaucoup d’efforts sont faits pour casser cette considération. Nous en faisons et souhaitons en faire partie. Concerts gratuits ou places réduites, mélanges des genres, propositions de partenariat aux écoles, MJC, hôpitaux, maisons de retraite, prisons. Je suis en revanche plutôt inquiète quand à l’enseignement public de la musique qui, pour en atteindre plus est en train de perdre dramatiquement en qualité et laisse la porte ouverte aux privés, donc aux privilégiés, ce qui n’est pas le but de départ.
O.P
: Je pense que ce n’est plus vraiment comme cela. Tout circule tellement vite et facilement, que ce soit la musique ou tout le reste, que ces phénomènes de cases s’estompent de plus en plus. C’est possible de faire goûter et apprécier de la musique dite ”classique” à un amateur de métal. Tout est dans l’approche et la manière de faire…C’est plus les musiciens eux-mêmes (classique ou jazz ou autre) qui sont parfois trop sectaires.

Quel est selon vous le plus grand pouvoir de la musique ?
S;C : A-paix-ser
O.P : C’est une porte d’accès pour se relier aux éléments naturels et aux émotions humaines.


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