Dans son nouveau roman, Didier van Cauwelaert fait appel à l’un des plus brillants esprits du XXème siècle, le physicien Albert Einstein. Une comédie romantique où la spiritualité s'attaque aux enjeux planétaires. Bretagne Actuelle a rencontré l’écrivain pour une conversation croisée entre sa conception du fédéralisme régional et l’influence du monde végétal.


Jérôme Enez-Vriad : Pourquoi avoir choisi Albert Einstein ? 
Didier van Cauwelaert : La personnalité, les contradictions, la fantaisie, les blessures et les objectifs posthumes d’Einstein étaient indispensables à mon histoire.

Toutes vos histoires semblent vouloir réhabiliter le sens de l’impossible…
DvC : L’être humain se plaint d’incommunicabilité alors qu’il s’est déconnecté de toutes les énergies ambiantes : le monde végétal qui l’a précédé sur terre, le monde animal auquel il appartient, l’invisible dont il n’est que la partie immergée… Faire surgir l’impossible dans son quotidien est une perturbation qui, dans mes romans, agit comme un révélateur.

Vous dites que le paranormal d’hier c’est la science d’aujourd’hui.J’ai perdu Albertest-il une allégorie de la science de demain ? 
DvC : Les incroyables prédictions scientifiques d’Einstein se sont presque toutes vérifiées. De son vivant, elles étaient souvent considérées comme du paranormal. Pour exemple, la détection des ondes gravitationnelles, vibrations de l’espace-temps qui bouleversent notre vision de l’Univers, et que l’on vient de mettre en évidence un siècle après qu’il les ait décrites. Toutes ces incroyables possibilités que l’on découvre dans mon livre (action mentale pour éliminer dans le futur une conséquence qu’on refuse, communication avec les abeilles, connexion « quantique » entre les êtres vivants et les consciences désincarnées…) toutes sont issues des travaux d’Einstein. 

J’ai aussi vu l’immortalité dans votre histoire…
DvC : Einstein a écrit de son vivant : « Je crois en une vie après la mort, car l’énergie ne peut pas mourir. Elle se transforme, elle circule, elle ne s’arrête jamais. » Mon roman plonge l’esprit d’Einstein dans la situation qu’il a exprimée.

Avoir conscience de mourir fait-il de l’homme un être différent des autres ? 
DvC : On sait aujourd’hui que les animaux et les végétaux ont, eux aussi, conscience de la mort. La leur, celle de leurs congénères et des autres espèces. Les publications scientifiques à ce sujet sont innombrables. Les humains qui nient cette réalité ne font que prouver leur ignorance – ou leur refus de se remettre en question. L’homme n’est différent que sur deux points : il se croit supérieur aux autres espèces, et il tue gratuitement.

A propos d’Immortel, vous avez signé la pétition du droit à l’inhumation de Michel Déon dans un cimetière parisien, alors qu’il était résident irlandais et n’avait rien prévu à cet effet…
DvC : Faire d’un grand écrivain français un SDF de l’au-delà au nom d’une hypothétique réglementation des cimetières parisiens, est aussi ridicule qu’indigne. La maire de Paris l’a reconnu elle-même, proposant de modifier le cahier des charges funéraires. Saluons son ouverture d’esprit, pour une fois.

Votre livre parle de l’identité, ce qu’est l’homme à travers lui-même, mais aussi à travers les éléments et tout ce qui l’entoure…
DvC : Notre identité c’est notre regard, notre rapport à ce qui nous entoure, nous constitue, nous modifie… Le reste, ce n’est que de l’étiquette et de l’ego.

L’identité ramène au vivre-ensemble, dans une osmose qui lie végétaux, minéraux, animaux et humains, mais aussi au vivre ensemble social et politique. Vous êtes d’origine belge, j’aimerais votre sentiment sur le fédéralisme, va-t-il à l’encontre du vivre-ensemble ou est-il une solution ? 
DvC : Dès lors qu’une région, un groupe d’individus sont incompris, niés, assimilés de force ou attaqués dans leur identité, comme ce fut le cas de la Bretagne, le fédéralisme est une aspiration légitime. Mais tout système politique qui se met en place porte en germe les défauts, les excès, les abus qui causeront sa perte ou son changement de nature. En fait, tout dépend de l’individu et de son énergie, de sa capacité à fonctionner en dehors des structures. La Belgique a vécu sans gouvernement durant des mois. A l’échelon local et quotidien, rien ne s’est arrêté. Imagine-t-on cela en France ?

Je vous ai posé la question parce que la culture celte est beaucoup plus proche de vos sujets que certains esprits parisiens…
DvC : Les Celtes sont en accord parfait avec la nature, les forces telluriques, l’invisible et l’équilibre de la Terre. Ce que vous appelez « un certain esprit parisien », c’est du tout-à-l’ego, un système de sinistrose nombriliste, de matérialisme goguenard qui se croit à la pointe de l’intelligence et voudrait être considéré comme une norme, alors qu’il est moribond.

Je vous cite : « Les enfants surdoués ont toujours besoin d’un ami imaginaire pour compenser la bêtise ambiante. » Un enfant surdoué sera-t-il un adulte brillant ? 
DvC : Il sera le plus souvent, hélas, une intelligence qui se cache, une énergie bridée, une différence honteuse sacrifiée à la suprématie de la bêtise, à la conformité aux normes. Pour s’intégrer, il se laissera dénaturer. Einstein aurait pu connaître ce drame. Sa passion intuitive, sa fantaisie, son empathie, sa revendication de l’excentricité l’ont sauvé.

Combien de temps porte-t-on un livre en soi avant de l’écrire ? 
DvC : En ce qui me concerne, souvent une dizaine d’années. C’est le cas de J’ai perdu Albert. Je laisse des personnages et des situations mariner dans mon esprit tandis que j’en cuisine d’autres.

Qu’est-ce qui stimule votre envie d’écrire ? 
DvC : La jubilation d’inventer, de façonner, de transmettre de l’émotion et du rire pour échapper au quotidien passif, à cette soumission aux événements qui caractérise notre société d’information à jet continu.

J’ai perdu Alberts’achève sur ces mots : « Enfin, j’espère… ».Qu’espère Didier van Cauwelaert ? 
DvC : J’espère continuer à mériter la fidélité des lecteurs qui « attendent mon prochain » – le plus beau cadeau qu’ils puissent me faire. Un formidable renfort à mon énergie.

Si vous aviez le dernier mot, Didier van Cauwelaert ?
DvC : Je conclurais par ma devise : « Encore ! »

Entretien effectué le 16 avril 2018 à Paris
© 2018 – Bretagne Actuelle & Jérôme Enez-Vriad 

Didier van Cauwelaert
J’ai perdu Albert 
Éditions Albin Michel
224 pages – 19€


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