Ouvrir un premier livre, qu’il soit ou non rouge, en l’occurrence il l’est, c’est un beau cahier avec un titre net, Le Bel Œuf, un emboîtement de lettres nettes et un coquetier dessous, œuf en suspend horizontal au-dessus, voilà qui donne joliment envie d’aller y voir plus loin, de tourner les pages du samizdat fanzinesque (ou l’inverse), de trouver un coin de table et mouiller les mouillettes.


Pas d’auteurs sauf lorsqu’on les force à se mettre à table. Lesquels auteurs théorisent, ce n’est pas nouveau, le retrait, la disparition, le souffle anonyme, histoire de brouiller l’œuf. Des sortes de zadistes littéraires, de clandestinos égarés nous égarant, des Camille de circonstance mais qui écrivent, ouvragent et c’est de la balle ! Ils nous font squatter le livre, on ne sait d’où vient l’ovni, qui il vise, sur quelle tête ou dans quel poêle il tombe pour se faire frire. Il y eut des palanquées d’anonymes au Moyen âge et notre littérature en est venue. Il y eut plus près de nous, de structuralistement annoncée, la mort de l’auteur. Quelque chose d’autre a lieu ici, qui peut soulager en ces temps où les réseaux sociaux résonnent d’egolâtrie ridicule et de dégueulerie intime. Donc, c’est politique, pas de noms mais deux auteurs, l’un dessine, l’autre écrit. Lisons, regardons.

La mise en page est d’abord ce qui saute aux yeux : épatante. Les dessins entortillent les mots, lierre autour qui s’enlace et les lie, mots dessins mots, et pas seulement pour que la daronne retrouve l’appétit. Le livre est un bestiaire, une recette de cuisine, une sorte d’encyclopédie oeufienne, et donc, un plat qui se mange chaud.

Album de grands enfants, avec loup garou garanti. Rimbaud, Benjamin Perret ou parfois Debord ou Topor en débordement. Le texte est d’abord moderne versus suburbain.  Au sens des cris qui crissent, des rails qui déraillent, des paumes qui poissent et des cauchemars sublimes : Eloignez les gosses ! Il arrive ! ../..Faites circuler ce grand cadavre si peu charmant/ce mort si jeune, ce cercueil d’enfant.

Les deux auteurs extraient des rêves des raves. Wikipedia est un auteur multiple au même titre que Schwob et son Conte des œufs, ici en exergue. Le livre est encycloeufpédique, rien de moins et les références pas que culinaires. On pense à Queneau et aussi à une Zazie qui bouffe le caneton ou le hamster pour qu’il arrête enfin de faire tourner le tourniquet métroboulotdodo. 

Le poème est ample, le dessin ne domine pas, ni les mots ne l’épuisent. La coïncidence est forte entre les deux conducteurs du livre, charivari de gas-oil, c’est l’errance des métros et les bancs habités/C’est le dormeur du val mais pas encore crevé. Oyez poindre l’alexandrin, il est du poète anonyme. Les chimères ou les tronches, les filigranes informes des formes, anthropomorphiques pas toutes, sont du compère écologue, oeuficulteur à ses heures, donc.

Parlons maquette: belle épure pour beloeuf. Les dessins filigranés laissent offerte la lecture. Les pages cellophane se superposent, s’interposent sans heurter, l’idée est rétro c’est à dire moderne ! Rassurez-vous, pas besoin de coupe papier ! Les pliages surprennent mais la porte demeure lumineuse et le brontosaure n’y peut mais. Il reste dans cette jubilation plutôt tranchée, donc en noir & blanc, à nommer, pour ces auteurs sans signature, au coin des pages comme on dit au coin des bois, des moments de couleur à coups de tampon. Le travail est manuel et les mains sont des outils de précision. Surprise, on n’en dira pas plus, certaines peaux se tatouent, les pages itou !

Ces deux enfants de toutes les guerres mondiales du jour nous ouvrent généreusement leur menu, œufs fracassés, y compris la recette d’œuf dur car les temps le sont. Le lyrisme enchante, le fantasme guette, les dessins nous crochètent et crachent le morceau sur [email protected], 15 euros le tour, on ne le regrette pas.

Des poètes commencent et le monde va mieux !


0 Commentaires

Laisser un commentaire

Abonnez-vous à notre newsletter

Edito

Articles similaires

Autres articles de la catégorie Poésie