Antonia Medeiros est une « migrante ». Française d’origine méditerranéenne, elle vit au Québec où elle écrit des livres à succès. Bretagne Actuelle l’avait rencontrée en avril dernier au salon Etonnants voyageurs de Saint-Malo. Depuis, sa saga des Crèvecoeur a justifié plusieurs rééditions. Interview en direct de la belle province, à distance mais sans complaisance. 


Jérôme Enez-Vriad : Vous êtes Nord-Américaine, mais votre nom sonne portugais…
Antonia Medeiros : Je suis franco-canadienne, d’origine méditerranéenne du côté de mon père qui est aussi américain. Comme tous les Nord-Américains, nous sommes immigrés ou descendants d’immigrés. J’ai moi-même choisi de m’installer au Canada après avoir épousé un Britannique. Qui sait où iront mes enfants demain…

Comment vivez-vous cette confluence de nationalités ?
AM : C’est une richesse extraordinaire. Je suis tantôt Française, Québécoise, Canadienne, Américaine, et un peu Britannique au gré de mes humeurs, de mes voyages. Cette complexité identitaire a toujours été une source inépuisable d’inspiration.

Dans quelle langue écrivez-vous ?
AM : J’écris en français parce que c’est ma langue maternelle, celle avec laquelle j’ai été à l’école,  avec laquelle j’ai grandi, étudié. Même si je parle couramment l’anglais, le français permet de mieux exprimer mes sentiments, c’est pour moi la langue du cœur et de la sensibilité.

Dans une époque où l’on écrit de plus en plus court, quelle est votre motivation à travailler sur une saga ?
AM : Vous avez raison, on écrit de plus en plus court parce qu’il faut lire et écrire de plus en plus vite. Cela dit, depuis quelques années, beaucoup de succès littéraires sont des sagas. Je pense à Harry Potter, Hunger Games, 1Q84 de Haruki Murakami, ou encore à la série des Millénium. En tant que lectrice et auteur, j’ai du mal à me satisfaire de l’éphémère. Avec une saga, on prend le temps de s’attacher aux personnages, d’évoluer avec eux et plonger dans la noirceur de leur âme. La relation lecteur/héros devient presque sentimentale au point de générer une attente, un manque ; bref, un lien profond se crée entre le monde réel et la fiction.

Comment est née cette saga familiale ?
AM : L’histoire des Crèvecoeur est construite sur plusieurs générations autour d’un personnage principal : Germain Crèvecoeur. Il était indispensable de l’inscrire dans sa lignée ascendante et descendante, raison pour laquelle on ne le retrouve pas dans le Tome 1 : Edith. Je souhaitais que le lecteur découvre l’histoire de ses parents avant la sienne qui est  racontée à partir du  Tome 2 : Romain. Avec les Crèvecoeur, j’ai voulu m’interroger sur le poids de nos racines, héritage familial à la fois conscient et inconscient que l’on porte en nous et dont il faut aussi parfois se défaire pour mieux grandir ; même si, au fond, on en reste toujours un peu tributaire et prisonnier.

Pourquoi l’avoir située en France, à Bayeux ?
AM : À cause de la demeure dans laquelle se déroule le roman, le fief des Crèvecoeur, rue Saint-Malo. Cette maison étrange existe, j’y suis souvent allée et je vous assure qu’elle hante la mémoire de ses visiteurs. Son histoire est inextricablement liée à la ville. Et puis Bayeux regorge de légendes qu’il aurait été dommage de ne pas exploiter, comme celle de sa célèbre  tapisserie. Vous savez, j’ai écrit ce roman longtemps après avoir quitté la France. Sans doute, avais-je inconsciemment besoin de retrouver mes racines normandes à travers Bayeux.

Vous utilisez beaucoup de passé-simple et le futur antérieur. Ces temps sont-ils encore naturellement usités au Québec ?
AM : Le passé simple est le temps du récit. Je ne serais pas à l’aise avec une écriture qui mimerait un style oral. Il faut impérativement poser une différence entre l’oral et l’écrit, à moins que ce ne soit une volonté esthétique. Certains auteurs le font très bien, en France comme au Québec d’ailleurs, mais ce n’est pas ce j’affectionne le plus.

Existe-t-il une écriture québécoise ?
AM : Au Québec, une distinction est faite entre le français parlé et écrit. Ce dernier s’apparente à une langue plus internationale que celle utilisée à l’oral. Chacune a sa musique, sa grammaire et sa poésie. Le québécois oral puise sa dynamique et son originalité dans ses dialectes, comme le joual, par exemple. Il se nourrit aussi d’anglicismes et de vieux français mélangé à un vocabulaire plus actuel, le tout dans une merveilleuse musicalité. C’est parce qu’elle est revendiquée comme telle que cette langue devient l’affirmation d’un patrimoine culturel et linguistique. Pour revenir à votre question, il existe effectivement une écriture québécoise. Elle est relative à son oralité, mais reste plus accessible parce que plus académique.

Il y a un débat en France autour des langues régionales…
AM : Les langues régionales sont indispensables pour conserver l’identité culturelle dont elles dépendent. La France est un carrefour européen où de nombreuses langues tentent de coexister. Ce n’est pas simple car on nous explique qu’il faut faire un tout en demeurant unique, alors que la préservation d’une langue va souvent à l’encontre du dynamisme qui lui permet de se renouveler en se mélangeant à d’autres.

Quand on écrit, c’est pour dénoncer quelque chose. Que souhaitez-vous dénoncer ?
AM : Je n’écris pas pour dénoncer, j’écris pour raconter. Depuis le XIXème siècle, grâce a Balzac, Maupassant, Zola et d’autres, le roman a un rôle social. Il nous aide à comprendre qui nous sommes et le sens de notre existence. En provoquant le cœur, l’écriture provoque aussi l’intellect.

Si vous aviez le dernier mot, Antonia Medeiros ?
AM : Les auteurs se nourrissent des encouragements des lecteurs. Alors lisez et partagez, c’est le plus beau cadeau que vous puissiez leur faire.

Propos recueillis par Jérôme Enez-Vriad – Septembre 2015
© 2015 Bretagne Actuelle & JE-V pour tous supports –

Les crèvecoeur
Une saga en trois tomes d’Antonia Medeiros
Éditons de la Bourdonnaye

Tome 1 : Edith 
Gutenberg : 14€
Numérique : 4,99€
192 pages

Tome 2 : Romain
Gutenberg : 18€
Numérique: 6,99€
230 pages

Tome 3… A paraître


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