Après Algérie, Soyez les bienvenus, sorti en 2008 et avant une exposition sur le Japon, Claire et Reno Marca, « écrivain, photographe et dessinateur – voyageurs » renforcent leurs liens avec un pays qui les « a pris à bras le corps ». Algérie gourmande, qui vient de paraître aux éditions de La Martinière, est un inclassable beau livre mêlant recette de cuisines, superbes dessins et photos, récits de voyage. Il est surtout un chant d’amour au pays et à ses habitants en même temps que l’affirmation d’une nécessaire ouverture au monde qui permet d’en capter « l’inépuisable poésie ».

Entretien avec Claire et Reno Marca.


Comment est né ce livre, Algérie gourmande ?
Cet ouvrage est d’abord le fruit d’une amitié avec Ourida Nekkache, amie depuis plusieurs années,  enseignante à Oran de métier mais passionnée de cuisine. Il est aussi notre second ouvrage publié sur le pays (le précédent, « Algérie, Soyez les Bienvenus ! », éd. La Martinière) et la somme de nombreux voyages dans ce pays pour lequel nous avons une immense affection et où nous retournons sans cesse.

Comment l’avez-vous construit ? Qu’y trouve-t-on précisément ?
Le travail s’est organisé autour des recettes d’Ourida qu’il a fallu faire et refaire pour y apporter précision et facilité. Ce sont des recettes familiales, rapides, et notre seule consigne auprès d’elle était que nous voulions que tous les ingrédients soient faciles à trouver. Toute sa famille a été mise à contribution à commencer par Mamati, sa maman, celle qui lui a transmise ce patrimoine culinaire. Et aussi nos amies comme Khalida qui vit à Sidi Bel Abbès.
Ensuite nous avons passé trois mois sur place, trois séjours d’un mois au printemps, en été et en hiver. Ceci nous a permis de profiter de la variété des fruits et légumes à chaque saison ou d’assister à la récolte des dattes en octobre par exemple.
On trouve donc 60 recettes. Entre chaque, le récit de nos voyages et rencontres à travers le pays auprès de femmes et de producteurs (vin, dattes, fermiers, maraîchers.)… Nous avons beaucoup sillonné l’Oranie bien sûr, la région où vit Ourida, mais aussi les oasis du Grand Erg (Ghardaïa, Taghit, Beni Abbès), Alger, Constantine ou la Kabylie par exemple. De quoi dresser une petite cartographie du terroir algérien.

Vous mêlez livre de cuisine et carnet de voyage. Aviez-vous envie de vous décaler un peu des récits de voyages que vous avez publiés avant (3 ans de voyage, Madagascar et Journal de la Mer d’Arabie)?
C’est plutôt l’inverse en fait : partis pour un projet culinaire un peu par hasard, nous avons eu envie de lui donner un visage plus complet afin de ne pas se limiter aux strictes recettes ce qui n’est pas notre métier et nous semblait un peu étroit. Nous voulions mettre des visages sur toutes ces femmes rencontrées et si discrètes, et mettre en avant les producteurs qui font tout ce qui compose la cuisine algérienne.

La cuisine est-elle pour vous un domaine qui permet mieux qu’un autre de découvrir un pays et ses habitants ?
Elle est un langage universel sans conteste, surtout avec les femmes souvent en retrait dans les pays que nous connaissons. Mais elle est aussi ce qui partout dans le monde réunit les gens pour un moment convivial dénudé tout contexte religieux ou politique. La cuisine est un formidable vecteur de fraternité.

Comment définiriez-vous la cuisine algérienne ? Caractérise-t-elle les habitants?
A l’image de sa culture, sa langue, ses coutumes, la cuisine algérienne est un brassage d’influences hybrides. L’histoire de ce pays a vu se succéder à tour de rôle Andalous, Ottomans puis Français au fil des siècles. Chaque période a laissé une empreinte culinaire : le safran, le café, la baguette par exemple…On pense souvent que la cuisine du Maghreb est très semblable de Tunis à Casablanca. Or si elle a un socle commun qui est celui de ses origines berbères, chacune possède son identité propre et bien souvent on ignore tout ou presque de la cuisine algérienne.

Un plat dont vous donnez la recette qui serait l’un de vos préférés ?
Il y a en a beaucoup que nous aimons vraiment mais plus particulièrement la sepia chermoula que nous appelons ici « morgate à l’algérienne». C’est une recette très rapide de seiche à la cocotte-minute avec ail et persil qui donne une texture extrêmement tendre et fondante au mollusque. Comme Reno pêche lui-même les seiches au casier au printemps dans la Ria d’Etel où nous habitons, nous avons totalement adopté la recette et nombre de nos voisins et amis aussi.

Vous avez une relation particulière avec ce pays. Qu’y avez-vous trouvé qui vous attire plus que d’autres régions ?
L’Algérie nous a pris à bras le corps dès notre premier voyage en 2007. Son histoire est passionnante, ses paysages merveilleux, sa littérature abondante mais surtout, la population est unanimement hospitalière et chaleureuse comme dans peu d’endroit dans le monde. On méconnait totalement en France le lien si particulier que les algériens ont toujours avec la France, cette résilience qui a été la leur après une si longue colonisation et qui, au-delà des traumatismes de l’Histoire, leur fait sincèrement nous aimer. C’est ce qui les rend plus touchant encore. Jamais l’un d’entre eux n’a eu un mot déplacé à notre égard. Car même si nous n’avons pas de liens familiaux avec le pays, nous charrions malgré nous avec notre passeport les vestiges d’une période douloureuse. 

On imagine le Japon, d’où vous rentrez, très différent de l’Algérie. Est-ce le cas ? Y avez-vous trouvé des points communs ? Quelles seraient les éléments que vous avez particulièrement aimés dans ces deux pays ?
On peut difficilement faire plus opposé. Le désert aride, l’urbanisation désordonnée et un caractère tout méditerranéen, excessif et chaleureux, d’un côté. De l’autre, l’ordre et la propreté érigés en modèle social, une certaine distance toute courtoise vis à vis de l’étranger et des jardins ancestraux méticuleux pour décor. Des musulmans, des bouddhistes ou taoïstes, des nouilles, du couscous…. le grand écart en somme. Peu de points communs sinon tout ce qui nous rapproche, ici ou là, en tant qu’Hommes. On apprécie l’intégrité, la propreté, la ponctualité et l’ordre japonais, mais il faut avouer que nous sommes avec Reno plus friands encore du chaos d’une médina et de l’improbable agenda d’une journée sur le continent africain.

Vous préparez une exposition sur le Japon ? Quels sont vos projets ?
Nous avons effectivement fait ce voyage en préparation d’une exposition de dessins et aquarelles qui se tiendra au mois de mars 2017 à la Galerie 26, place des Vosges, à Paris. Reno a effectué un travail de croquis et de photos sur place qui lui permettent à présent de réaliser des tableaux dans son atelier.
On nous demande beaucoup d’en faire un livre aussi mais il faut pour cela, avoir une histoire qui mérite d’être racontée. On y réfléchit.

Qu’est-ce qui vous pousse finalement à toujours repartir ? Une envie de connaître le plus possible de la planète et de ses habitants ?
Nous ne sommes pas du tout partisans de l’accumulation de visas chérie par certains voyageurs. Au contraire, après dix voyages en Algérie, nous suivons plutôt une tendance inverse qui est celle de liens toujours plus forts tissés avec un territoire et des gens.
On pourrait, par les temps qui courent, se replier sur soi et penser que le monde est bien sombre et dangereux au dehors. Or le voyage offre au quotidien mille et une raison de capter l’inépuisable poésie qui abonde en toute chose, toute personne, à chaque instant. Il suffit d’être ouvert et de prendre le temps pour la capter et la recevoir. Nos livres et films ne sont que les témoignages de l’émerveillement permanent qui est le nôtre sur la route pour cette richesse infinie qui nous entoure. Et les innombrables hommes et femmes rencontrés en sont la plus manifeste illustration.

Propos recueillis par Grégoire Laville

Algérie Gourmande, de Claire & Reno Marca, avec Ourida Nekkache
Ed. de La Martinière – 35 euros
Grand Prix Eugénie Brazier  2016
www.reno-marca


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