Depuis dimanche dernier, un artiste réalise une performance en stationnant pendant sept jours sur une plateforme de 1,90m de long sur 1m de large. En haut d'un mât de 12m. Cette sculpture habitée a été baptisée Vigie Urbaine. L'objectif de l'artiste, Abraham Poincheval : "regarder la ville de Rennes". 


La performance semble s’inscrire dans la suite de l’expérience des « Veilleurs » organisée dans le cadre des précédentes Tombées de la nuit, à l’occasion de laquelle une heure durant, matin et soir et à partir d’un « objet-abri », un habitant observait la ville du haut de sa vigie.
Bien sûr, les passants non avertis, s’interrogent : mais que fait donc cet homme là-haut ? Les plus curieux engagent la conversation avec le performeur, s’inquiètent du pourquoi et du comment de l’entreprise, de ses conditions matérielles : est-il bien sécurisé ? N’a-t-il pas froid ? D’autres en revanche, critiquent sans détour la démarche : cette expérience de précarité volontaire ne fait-elle pas insulte à ceux qui la subissent de façon beaucoup moins spectaculaire et sans l’avoir choisie ? On parle de provocation, d’indécence. Sans compter que cet olibrius est tout de même payé sur les deniers publics – entendez nos impôts – , pour faire ses pitreries en plein ciel ! Si encore il tentait un semblant d’expérience scientifique à la Michel Siffre, enfoui dans sa grotte pendant des mois pour étudier nos rythmes chrono-biologiques ou si à la manière d’un Drogo dans Le Désert des Tartares, sa veille visait à assurer la tranquillité de la ville… Mais non : il n’y a pas à chercher, cette performance est, a priori, proprement inutile et les seuls que l’on a vus jusqu’à présent squatter de telle manière les hauteurs faisaient, eux, acte de désespoir, entreprenant l’ascension d’une grue ou du fronton d’un édifice public pour défendre leur cause en déployant une banderole réclamant qui le droit de garde d’un enfant, qui le droit de conserver son emploi, sa maison…
Et si c’était précisément là que se situait l’intérêt de la performance : dans le simple fait d’échapper (enfin), par l’acte gratuit, à l’ordre de la nécessité. Cette nécessité qui régit nos vies : travailler pour nourrir nos familles, partir en vacances ou faire du sport pour recharger les batteries, consommer, assumer, assurer. Autant de comportements normés que ce type en suspens questionne. Simplement parce qu’il échappe aux impératifs de l’utile, du convenu et de ce qui nous semble être l’ordre déterminé des choses.
Mais n’est-ce pas là aussi l’une des fonctions de l’Art : nous interpeller en instillant un décalage singulier dans le quotidien pour nous amener à réfléchir. Sur ce qui fait sens dans nos vies et sur ce qui ne semble pas avoir de sens. Parce que penser à ce qui nous semble inutile nous amène inévitablement à (ré)évaluer ce qui nous paraît « utile »…


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